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D.R.
Zoom par Patrick Adler
Colorature
Au Théâtre La Bruyère

"Colorature", tragi-comédie de Stephen Temperley, a connu mille et une versions. Au cinéma on se souvient du film de Stephen Frears "Florence Foster Jenkins" avec Meryl Streep en 2016 et "Marguerite" de Xavier Giannoli avec Catherine Frot l'année d'avant. Le personnage, aussi extravagant que pathétique, est une mine d'or pour les interprètes et Agnès Bové en a presque fait le rôle de sa vie, tant elle l'incarne à la perfection. Avec Grégory Baquet qui campe avec la même maestria son pianiste désarmé, ils forment un duo aussi épatant qu'émouvant sur scène. Entre la vanité touchante d'une femme fortunée, persuadée d'avoir l'oreille absolue et accumulant les couacs et son musicien-accompagnateur qui, tel Sganarelle, court après ses gages et finit par se prendre d'affection pour elle, c'est toute la confusion des sentiments qui s'exprime.
Elle est aussi extravagante dans ses tenues vestimentaires que pathétique, Florence. Elle chante faux à un point inimaginable, mais ne s'entend pas et fait même doctement la leçon à son pianiste. Comble de tout, elle est sincère, elle y croit. Aussi nos déferlantes de rires, cruels en soi, sont-ils mâtinés d'indulgence face à l'ingénuité et la passion que développe la pseudo-colorature. Et notre compassion est grande pour le pianiste qui a fait contre mauvaise fortune bon cœur et s'est engagé à la suivre dans ses délires. D'autant que les contrats affluent et que le tourbillon s'accélère... jusqu'à la chute finale, l'ultime fausse note, le couac qui fait couic, l'heure de vérité. Dans un moment d'émotion bouleversant, elle dépose - à demi - les armes et pose la question de la sincérité. Lui aurait-on menti ? Pourquoi ces rires ? Comme dans un rêve éveillé, tout bascule, tout s'emmêle et, même si elle ne se l'avoue pas, même si par indulgence son pianiste lui ment encore (il a lui aussi abdiqué, après avoir sonné l'alarme à plusieurs reprises), elle ne s'en remettra pas. Elle en mourra quelques semaines après le dernier concert au Carnegie Hall.

Et c'est avec nostalgie, douceur et poésie que Cosme McMoon, le pianiste, nous offre ce tendre flash-back, mis en scène avec sobriété et classe par l'incontournable Agnès Boury. Grégory Baquet, aussi convaincant que dans la pièce de Gilles Dyrek "Je m'appelle Georges... et vous ?" qu'il joue parallèlement au Théâtre La Bruyère, joue sa partition avec justesse et précision. Il a, de plus, cette élégance naturelle et cette candeur qui le rendent aussitôt sympathique. Quant à la solaire Agnès Bové, elle est aussi exceptionnelle que son personnage et réussit ce tour de force de chanter faux... avec justesse ! Virtuose, elle joue toutes les nuances, elle sait incarner la fragilité, le ridicule comme le tragique de la diva et en arrive à la rendre humaine, infiniment humaine. Pourquoi et comment lui briser ses rêves, à Florence ? Dans ce jeu de massacre qu'elle a elle-même provoqué, il nous restera, en dehors de ses couacs légendaires et de quelques tympans abimés, la formidable complicité d'une riche héritière qui se voulait star et de son pianiste-accompagnateur.
Agnès Bové et Gregory Baquet (en alternance avec Cyril Romoli) nous offrent avec "Colorature" un grand moment de théâtre. Entre rires et larmes. Courez les applaudir !
Paru le 05/02/2025

(62 notes)
COLORATURE - Mrs Jenkins et son pianiste
THÉÂTRE ACTUEL / LA BRUYÈRE
Jusqu'au mardi 29 avril

MUSIQUE. New York 1930. Florence Foster Jenkins, riche héritière américaine, s’improvise soprano colorature et massacre les plus fameux airs d’opéra autant par la fausseté de sa voix que par ses fantaisies rythmiques. Des années plus tard, au piano d’un club de jazz en vogue, Cosme McMoon, son accompagnate...

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