Article de Patrick Adler
Le voyage de M. Perrichon
L'Artistic Théâtre
Dame Lazarini n'en finit plus de nous surprendre en dépoussiérant, cette fois, un classique qui, depuis Jean Le Poulain à la Comédie Française en 1982, avait rarement été monté. Comme une madeleine de notre enfance, nous redécouvrons, dans une version sur-vitaminée les tribulations du plus célèbre carrossier de Labiche rendu, par les faveurs de la Dame, moins ridicule et plus humain qu'il n'y paraît.
C'est réjouissant et pédagogique, ce qui nous fait dire, à l'instar de Chéreau, que "Ceux qui l'aiment prendront le train". Prenez vos billets et accrochez-vous bien !
C'est réjouissant et pédagogique, ce qui nous fait dire, à l'instar de Chéreau, que "Ceux qui l'aiment prendront le train". Prenez vos billets et accrochez-vous bien !
Frédérique Lazarini a beau afficher une manière de dilettantisme, mâtinée de nonchalance quand on lui parle de son travail - pudeur ou humilité ? ou les deux ? -, le résultat est tout autre. La Dame est aussi passionnante que passionnée et rien chez elle n'est donc laissé au hasard. Aussi, après quelques coupes fort utiles pour un rendu plus digeste, forte de sa grande culture cinématographique, elle a choisi l'angle du burlesque pour ce "Voyage de M. Perrichon" qui en surprendra plus d'un. Entre détournements d'objets (la luge-trottinette, les hauts-parleurs mobiles, le fauteuil-écritoire, la statue parlante), elle convoque tous ses modèles, le cinéma muet de Keaton à Tati en passant par Chaplin, Woody Allen et son écran "Rose pourpre du Caire" et même Fred Astaire et les vieilles comédies musicales. Tous ces clins d'œil qui sentent bon la nostalgie mettent le public en joie, d'autant que le rythme est soutenu. À croire que la micheline d'antan a fait place au TGV ! Les tableaux se succèdent à une vitesse vertigineuse. Pas de noir. Les changements de décors se font à vue, donnant l'impression d'un intermède chorégraphique. Les gestes sont précis, les voix assurées. C'est assurément un travail de troupe où chacun, pour avoir déjà joué ensemble, se connait bien, où chacun exécute à la perfection sa partition : Cédric Colas se démultiplie à l'envi et campe un Perrichon ridicule, boursouflé d'orgueil qui découvre peu à peu dans ce voyage initiatique et rocambolesque l'empathie, ce qui le rend infiniment humain et tendre. Emmanuelle Galabru en Madame Perrichon est tout aussi convaincante, elle a le verbe haut, de l'élégance, de l'autorité et des colères noires, expliquées par le "C'est toujours comme ça quand elle n'a pas pris son café" de son mari. Guillaume Veyre affiche, comme toujours, une efficacité scénique indéniable en jouant à la fois le Commandant Mathieu, vieil amoureux transi, et Majorin, employé aigri et jaloux. Quant aux plus jeunes pensionnaires : Hugo Givort, Arthur Guézennec et Messaline Paillet, c'est dire si les heures de répétition, le travail sur le corps leur ont été utiles car ils sont tous trois, eux aussi, au cordeau. Facétieux, croquignolets à souhait, on les dirait tout droit sortis d'une B.D. En campant les deux soupirants rivaux d'Henriette (Messaline Paillet) Armand (Hugo Givort) et Daniel (Arthur Guezennec) se voient offrir le tapis circulaire d'un dojo pour s'affronter. Encore une trouvaille de Frédérique Lazarini qui, dans cet esthétisme burlesque réussit, avec sa troupe, à donner un second souffle à l'œuvre. À l'instar de certains qui colorisent les films, elle redonne de la vie aux Classiques. On se souviendra longtemps des pommes qui sortent de l'écran, des descentes à skis, de certains tableaux très kitsch qui donnent du relief à l'ensemble - il faut dire aussi qu'on est dans les montagnes lol - et surtout des rires en rafale pendant les quatre-vingt dix minutes de la représentation. Si Perrichon le suffisant atteint à la fin la reconnaissance pour autrui, le public, lui, manifeste par ses vivats la reconnaissance à toute la troupe pour ce grand bain de fraîcheur. Une dame "permanentée" et fortement laquée a dit en sortant du théâtre : "Ca décoiffe". Elle a tout résumé.
Paru le 03/02/2025






![]() ![]() ![]() ![]() ![]() (29 notes) ARTISTIC THÉÂTRE (L') Jusqu'au dimanche 2 mars
COMÉDIE RÉPERTOIRE CLASSIQUE à partir de 10 ans. Un riche commerçant, M. Perrichon, sa femme et leur fille Henriette partent pour la première fois en train vers Chamonix, suivis - quel heureux hasard - par deux jeunes gens, Daniel et Armand, tous deux intéressés par la main de la demoiselle. Commence alors, entre les deux hommes, une lutte aussi...
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