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D.R.
Zoom par Patrick Adler
Fête des mères
Au Théâtre Lepic

Il fleure un vent de folie dans cette fabrique à succès qu'est devenu le Théâtre Lepic, auréolé en deux ans de trois Molières. En reprenant "Fête des mères", succès phénoménal en Avignon, la nouvelle équipe, qui depuis quelques années fait un "sans-faute", confirme son flair pour les statuettes. Ce dernier Opus signé Adèle Royné - autrice et comédienne dans la pièce -, assistée de Guillaume Vincent, devrait connaître un raz-de-marée public, amplement mérité. C'est drôle, intelligent, grinçant et très novateur dans l'écriture. Un must jubilatoire !
L'ouvreuse vous enjoint à ne pas oublier de rallumer vos portables à la fin de la représentation. Le propos, d'ordinaire sibyllin, devient par sa longueur un sketch d'ouverture savoureusement drôle. Le ton est donné : la pièce a bien démarré et l'ouvreuse n'est autre que Louise, la fille indigne et mal aimée de la mère qui, après trois ans d'absence et de fâcheries, l'a conviée à son anniversaire. Elle devrait retrouver le reste de la fratrie : Ziggy, le benjamin adu-lescent surdoué, un brin "Tanguy", accrochée aux basques de la "mater familias" qu'il voit partout, jusque dans ses partenaires sexuelles, et Gabriel, l'aîné, le chouchou-à-sa maman, exerçant dans le consulting, eczémateux péremptoire, adepte de psychanalyse, du mot de la fin et... de sa mère, forcément ! Viennent s'adjoindre son compagnon Arthur, moins "beauf" qu'il n'y parait et Florence, la soi-disant petite amie de Ziggy, une foldingue haute en couleurs qui a l'âge de sa mère et est très portée sur la bouteille. Quid de la mère ? Comme chez Beckett, on l'attend !

Adèle Royné, fille naturelle de Jaoui et Bacri et sans doute inspirée par le "Festen" de Virtenberg, signe avec "Fête des mères" un petit bijou d'intelligence et de drôlerie. Ce huis-clos familial, comédie douce-amère sur les rivalités au sein d'une fratrie, met l'accent sur la toxicité d'une mère qui, même absente, est omniprésente et envahissante. Les personnages - les enfants, comme les autres - sont tous éclopés et presque caricaturaux. En bonne cheffe d'orchestre et compositrice, Adèle a concocté à ses "musiciens" une symphonie sur-mesure où chacun(e) joue sa partition avec talent.
Car ce qu'ils délivrent là tient de la virtuosité, notamment chez les deux solistes : Florence Janas - qui campe une Florence extravagante, déjantée à souhait, avec une force comique indéniable - et Cyril Metzger - un savant mix physique de Depardieu (jeune) et Dujardin, qui correspond bien au running-gag de Florence : "Il me flingue, celui-là"-. Flinguant, il l'est assurément, jouant de son agilité verbale, de son sens de la répartie, passant en un tournemain du beauf salace au chirurgien sérieux. Il est bluffant, solaire, charismatique et, pour info, déjà récompensé au cinéma par le prestigieux Prix Swissperform pour "Winterpalace", série à venir sur Netflix. Son personnage d'Arthur dans "Fête des mères" mène la danse et devient une pièce maîtresse alors que, simple compagnon de Gabriel, il n'est que produit rapporté dans cette famille.

Si les personnages sont bancals, les objets le sont également : La table cheap pas débarrassée, les mules fluo aux pieds, le téléphone fixe vintage, les portables brouillés par le vent, les langues de belle-mère... Tout - et surtout les punchlines, elles sont légion - participe à ce joyeux jeu de massacre, dans la droite lignée du mythique "Air de famille", d'autant que, le Crémant aidant, les esprits se chauffent, les vérités sortent et, du vaudeville de départ, on verse peu à peu dans la tragi-comédie, avec ce parfum de nostalgie et de mélancolie qui nous fait porter un autre regard sur la fragilité de Florence, qui n'a pu avoir d'enfants et se console depuis comme elle peut avec la bouteille, sur l'eczéma de Gabriel ou les colères d'enfant de Ziggy.
Les Lacaniens se régaleront du choix du prénom de la mère : "Violaine", à qui Adèle Royné dédie la pièce à la fin en lui ôtant le "o", de ce "Fête des mères" devenu "Mère défaite", voire "La merde est faite". Les traumas, les petites névroses, que magnifie l'autrice-comédienne dans ce débat familial débridé et un brin barré, agissent comme un miroir de notre existence. Par leur traitement ironique, voire sarcastique, par tous les non-dits, les blagues, par ces montagnes russes qui nous baladent de légèreté en exagération - cf., par exemple, les surnoms donnés par la mère absente à ses enfants ou les raccourcis "dépressive, donc comédienne" que se donne Adèle -, ils nous amènent à réfléchir sur le sens de la vie...entre deux éclats de rires !

Longue standing ovation pour ce petit bijou théâtral qui ne pouvait trouver meilleur écrin que le Théâtre Lepic. Rendez-vous aux Molières 2025 !
Paru le 30/01/2025

(7 notes)
FÊTE DES MÈRES
THÉÂTRE LEPIC
Jusqu'au dimanche 27 avril

COMÉDIE à partir de 12 ans. Louise, ancienne étudiante en Maths Sup, s’est convertie dans le stand up… Elle y parle de sa famille et en particulier de sa mère. Suite à un sketch au vitriol, mère et fille ne s’adressent plus la parole depuis bientôt trois ans. En manque d’inspiration, Louise décide de réapparaître dans la mai...

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