Article de Patrick Adler
L’Avare
À La Cartoucherie/La Tempête.
À l'heure des vaches maigres, des restrictions budgétaires en cours, on ne recense pas moins de trois "Avare" : à la Comédie Française, au Lucernaire et... à La Tempête. L'occasion pour Clément Poirée, le metteur en scène, de nous offrir dans cette salle mythique un opus disruptif en phase avec les idées très actuelles de décroissance et de partage...
Ils sont tous là, comédiens, techniciens, maquilleurs, costumiers, machinistes, presque à poil (en slip), sauf Harpagon - le seul en costume d'époque (qui, au passage, n'est pas sans rappeler celui de Charles Dullin). Personne en coulisse, tout est "à vue". On manie des projecteurs mobiles, on s'aide de baguettes lumineuses pour éclairer, on crée même un rideau avec des sacs-poubelles, on maquille, on s'habille en direct. Vous l'aurez compris : la pièce se promet d'être immersive et participative ! D'ailleurs, vous êtes prévenus : vous devez apporter un objet de votre choix. C'est la crise. Le plateau ressemble à un entrepôt d'Emmaüs avec des étagères vides, des panneaux amovibles qui vont se remplir au fur et à mesure de tissus, habits, objets, sacs et autres éléments glanés dans des bacs de récupération. C'est "à votre bon cœur, M'sieurs-dames !". La friperie bat son plein, tout le monde est en place. Le public est prévenu, il va jouer la dernière pièce de ce savoureux puzzle. C'est parti... pour deux heures trente ! Ok, c'est long mais les scolaires qui composaient une bonne moitié de la jauge ont "kiffé" (sic) et les professeurs-accompagnants de se congratuler d'avoir eu cette idée folle... de les faire sortir des codes !
Bien sûr, quelques esprits chagrins et/ou intégristes pourront s'interroger sur le bien-fondé de cette adaptation plutôt "barockn'roll", voire "académique-ta-mère" qui - il faut le reconnaître - a le mérite d'interroger et pointe l'universalité du thème et de l'œuvre. Et cette déclinaison, disruptive dans la forme, ne l'est aucunement dans le fond puisque le texte est rendu dans son entièreté, avec "l'esprit de troupe" car, comme le disait Molière : "La vraie richesse d'un spectacle, c'est sa troupe". Vous les avez vu haranguer le public, jouer les chauffeurs de salle, le faire participer comme vous les avez vu dire le texte, le jouer. Avec talent. Tous. C'est l'art de la troupe. Mention spéciale néanmoins à la Anne-Elodie Sordin qui campe avec grande intelligence une Frosine délurée, déglinguée, manipulatrice à souhait, à Nelson-Rafaell Madel qui, jouant de sa plastique avantageuse, de son déhanché subtil et de sa voix grave et sensuelle incarne avec bonheur Valère le félon comme Valère l'amoureux transi, à Laurent Ménoret, brutal, sensible... et drôle à souhait en Maître Jacques.
Et, last but not least, à John Arnold, grimacier et drôle comme un de Funès qui, par sa variation de jeu époustouflante, rafle la mise. À la fois bouffon et sobre, ce petit rondouillard, désopilant en passant en un tournemain à l'octave, figure un monstre infiniment humain, avec ses angoisses, sa névrose du manque mais aussi et surtout sa quête insatiable d'amour. Pas si balourd, il pose aussi des questions existentielles à son fils "fashion-victim" : quid de l'intérêt de la surconsommation ? À croire que la décroissance au XVIIè était déjà d'actualité.
Alors, au fond, deux-heures trente pour réfléchir, rire et partager des émotions, qu'est-ce que cela coûte ?
Bien sûr, quelques esprits chagrins et/ou intégristes pourront s'interroger sur le bien-fondé de cette adaptation plutôt "barockn'roll", voire "académique-ta-mère" qui - il faut le reconnaître - a le mérite d'interroger et pointe l'universalité du thème et de l'œuvre. Et cette déclinaison, disruptive dans la forme, ne l'est aucunement dans le fond puisque le texte est rendu dans son entièreté, avec "l'esprit de troupe" car, comme le disait Molière : "La vraie richesse d'un spectacle, c'est sa troupe". Vous les avez vu haranguer le public, jouer les chauffeurs de salle, le faire participer comme vous les avez vu dire le texte, le jouer. Avec talent. Tous. C'est l'art de la troupe. Mention spéciale néanmoins à la Anne-Elodie Sordin qui campe avec grande intelligence une Frosine délurée, déglinguée, manipulatrice à souhait, à Nelson-Rafaell Madel qui, jouant de sa plastique avantageuse, de son déhanché subtil et de sa voix grave et sensuelle incarne avec bonheur Valère le félon comme Valère l'amoureux transi, à Laurent Ménoret, brutal, sensible... et drôle à souhait en Maître Jacques.
Et, last but not least, à John Arnold, grimacier et drôle comme un de Funès qui, par sa variation de jeu époustouflante, rafle la mise. À la fois bouffon et sobre, ce petit rondouillard, désopilant en passant en un tournemain à l'octave, figure un monstre infiniment humain, avec ses angoisses, sa névrose du manque mais aussi et surtout sa quête insatiable d'amour. Pas si balourd, il pose aussi des questions existentielles à son fils "fashion-victim" : quid de l'intérêt de la surconsommation ? À croire que la décroissance au XVIIè était déjà d'actualité.
Alors, au fond, deux-heures trente pour réfléchir, rire et partager des émotions, qu'est-ce que cela coûte ?
Paru le 01/10/2024
(17 notes) Cartoucherie - La Tempête Jusqu'au dimanche 20 octobre
COMÉDIE DRAMATIQUE RÉPERTOIRE CLASSIQUE. L’histoire d’une génération qui ne veut rien lâcher au risque de nécroser celle qui vient, Molière l’a génialement racontée dans L’Avare. Clément Poirée se risque à revisiter cette comédie "en mode radin" pour interroger ses résonances au temps de la décroissance. Sur scène, une troupe en slip dev...
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