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© Lauren Pasche
Interview par Philippe Escalier
Narcisse, auteur et interprète du spectacle musical «Humains»

Créé au théâtre de Benno Besson à Yerson, « Humains » le nouveau spectacle de Narcisse a été présenté au public français lors du Festival OFF d'Avignon 2023 où il a d'entrée, rencontré un véritable succès. Nous revenons avec lui sur cette dernière expérience avignonnaise qui plébiscite le travail original et subtil d'un artiste qui ne laisse personne indifférent.
Narcisse, c'est votre 5eme Avignon et « Humains » est votre spectacle le plus abouti. Combien de temps pour le mettre en place ?

Ce spectacle m'a mobilisé pendant deux ans dont plusieurs mois de lectures intenses d'historiens, de biologistes, d'astrophysiciens qui racontaient l'histoire de l'humanité selon leur point de vue. Après l'écriture du texte, il y a eu celle des musiques et des vidéos car j'aime bien tout faire et proposer un objet qui regroupe un ensemble de disciplines artistiques comme la musique, la vidéo, la poésie ou la danse.

Comment s'est passé le travail avec les scientifiques, en sachant que le résultat final est quelque chose à la fois de très condensé et de très léger ?

Oui, je ne fais pas une conférence. Quand mon texte a été terminé, je l'ai fait lire à Mme Carine Ayélé Durand, directrice du musée d'ethnographie de Genève. Elle est anthropologue, elle avait l'expertise nécessaire et d'autre part, c'est important, cette femme d'origine africaine a pu m'apporter une vision moins ethnocentrée que la mienne. Elle a eu la gentillesse de me faire des retours très précis qui m'ont permis d'affiner le texte. Je lui dois beaucoup. Sur le plan musical, apparait dans mon spectacle, Vincent Zanetti, grand spécialiste des percussions africaines. L'étendue de ses connaissances m'a été très utile.

Dans « Humains » nous retrouvons votre marque de fabrique à savoir les nouvelles technologies !

J'ai toujours inclus de la technologie dans mes spectacles. En 2014, le spectacle s'arrêtait sur scène et continuait sur le téléphone des spectateurs. Dans « Toi, tu te tais » j'ai travaillé avec des téléviseurs. Pour moi, l'étape suivante, c'était les hologrammes. Je suis allé à Paris voir trois entreprises spécialisées et j'ai vu que c'était abordable pour moi qui fais des spectacles à petit budget et qui aime le côté artisanal. Et puis, il y avait cette idée dans le spectacle de dire que la force de l'humanité c'est sa capacité à travailler ensemble, à additionner des compétences, pour faire du nouveau. Je ne pouvais pas avoir 21 artistes avec moi sur scène, ce que permettent les hologrammes, une technologie mise au service du propos et qui permet de montrer ce que les mots ne peuvent pas toujours dire.

On pourrait voir un paradoxe dans le fait qu'il y a toujours de la technologie dans vos spectacles et qu'en même temps, cette technologie est responsable de ce que vous dénoncez !

Exactement, et j'ai toujours fait ça ! J'ai toujours eu un regard assez critique sur la technologie tout en l'utilisant au maximum. Mais j'aime bien mettre le doigt sur ce qu'elle peut nous apporter de positif. En grand connaisseur, Michel Serres, que je cite dans le spectacle, disait : « Par téléphone portable nos enfants accèdent à toutes les personnes, par GPS, à tous lieux, et par le web à tout le savoir ». Un petit objet dans notre poche nous permet d'avoir accès à tout. En même temps on peut aussi l'utiliser pour des choses totalement futiles. Mais il n'existe aucune technologie qui soit unilatéralement bonne ou mauvaise. J'ai voulu m'intéresser au côté positif. Ce regard optimiste fait que les gens viennent me dire que ce spectacle leur fait du bien. C'est ce que je voulais faire sans pour autant tomber dans quelque chose de bien-pensant ou de niais. Je voulais prendre de la distance, avoir un regard critique et préciser que si l'humain ne réussit pas tout, il est capable de faire bien ! C'est de cela que je veux parler et le public le comprend parfaitement. On a besoin d'être un peu réconcilié avec l'humanité. Autour de moi, certains se sont demandé, avant la création du spectacle, si c'était le moment de parler de ce que l'humanité faisait de beau alors que tout allait si mal. Mais allons-nous si mal que ça ? Malgré nos difficultés, ne sommes-nous pas mieux qu'au cours du XXe siècle traversé de tragédies en tous genres ? Je crois que nous sommes conditionnés pour avoir un regard négatif sur nous-mêmes. Or nous résoudrons plus facilement nos problèmes en disant : « Nous sommes capables de faire juste, faisons-le ! ».

Il ne nous reste plus qu'à avoir une culture de l'effort à un moment où l'on veut que tout soit simple et rapide !

C'est une des difficultés en effet. Nous sommes dans la culture de l'immédiat, y compris dans les plus hautes sphères et c'est ce qui me gêne. Cet attrait pour les solutions rapides est un véritable handicap. Cela pourrait être le thème d'un prochain spectacle. Mais j'avais quand même envie de dire que nous sommes capables de nous en sortir, tous ensemble, pas seulement une petite minorité de gens très aisés.

Etes-vous mieux accueilli en France qu'en Suisse ?

Oui, et c'est bien que nous en parlions car cela me chagrine. Je joue à Saint-Malo à 2000 kilomètres de chez moi, la salle est pleine alors même qu'en Suisse, les programmateurs me boudent, sans que je sache pourquoi. Avec mes spectacles en France, je vis bien mais ce qui me gêne c'est que les Suisses puissent penser que c'est moi qui les boude. Peut-être qu'avec « Humains » les choses vont changer...
Paru le 21/07/2023