Connexion : Adhérent - Invité - Partenaire

D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
Barbe-Bleue. Un show-effroi… jouissif !
Vous reprendrez bien une petite coupe…

Quand Amélie Nothomb décide de revisiter le conte "Barbe Bleue", c'est forcément sur fond de Champagnes millésimés, histoire de sublimer les agapes du lieu et d'ajouter du pétillant à ce qu'il est convenu d'appeler un conte fantastique et pour le moins... glaçant !
Don Elemirio, riche propriétaire d'un somptueux hôtel particulier qu'il n'a pas quitté depuis vingt ans, cherche de la compagnie pour parfaire sa palette chromatique car c'est un homme - comment dire ? - haut en couleurs. On comprendra pourquoi par la suite... Dans sa "petite annonce", il propose pour une somme dérisoire de louer une de ses chambres. Ça se bouscule au portillon tant la proposition est alléchante mais le vieux barbon, un Falstaff au port hiératique, à la panse aristocratique qui alourdit sa démarche et à la voix de stentor est seul Maître du casting. Un casting exclusivement féminin (toutes les élues ont un prénom qui se fini en "ine", la rime féminine par excellence) car l'ogre, imposant par sa stature, est un tantinet fétichiste des pieds et n'aime rien tant que l'univers des escarpins et autres talons-aiguilles. Las ! Dans ce qui s'apparente à un ultime épisode, après huit disparitions inexpliquées, huit colocataires envolées, disparues, mortes ? - la suite nous l'apprendra peut-être - débarque fraichement l'effrontée Saturnine, aussi facétieuse qu'audacieuse, notamment quand elle l'apostrophe ainsi : "Ça s'appelle la jeunesse, vous vous souvenez ?" qui n'aura pour effet que de rendre exponentiels les désirs du vieux barbon lequel, habitué des tendrons, n'imaginait peut-être pas pareille résistance. Pour qui connait ses classiques, "le désir s'accroît plus l'effet se recule". Bien entendu. Alors, Saturnine, aidée par une "castée" éconduite, va mener l'enquête : Quid des huit femmes qui l'ont précédée dans la colocation, seraient-elles enfermées dans cette chambre noire interdite où le propriétaire dit développer ses photos ? Le Maître, à l'instar des œufs qu'il adore et cuisine sous toutes les déclinaisons possibles (omelette, pâtisserie...) n'aime rien tant qu'être couvé. Mais dans l'œuf, il y a aussi et surtout le jaune, ce jaune qui manquait à sa palette chromatique et qui est symbolisé par Saturnine. Ce jaune-or, cette couleur qui va magnifier la robe qu'il lui fabrique en un tournemain car, avant de partir, toutes les colocataires ont reçu un cadeau du Maître...

Vous voulez évidemment connaître la fin de l'histoire. Ne comptez pas sur moi. Même si vous avez lu le conte originel, l'adaptation d'Amélie Nothomb, vous ne sauriez passer à côté de cette Pépite avec un grand P de Frédérique Lazarini qui transcende l'œuvre. L'univers est digne de Tim Burton, la bande-son est étudiée, le décor léché, le flouté de certaines vidéos oscille entre les tableaux de Leonore Fini et Francis Bacon. On est dans la démesure, l'extravagance, à l'image de l'ogre : les œufs, les gâteaux... même les paupiettes sont hors-mesure. il y a de la magie, du fantastique, de la comédie, du drame, tous les ressorts du grand spectacle vous sont servis sur un plateau. De Suspiria à Carrie au bal du Diable, c'est le cinéma qui entre chez vous, la table - immense - vous rappellera le souper de Don Juan.
De 7 à 77 ans, il n'est qu'à les voir sortir tous, les yeux illuminés, le regard extatique. Car on en a pris, quatre-vingt minutes durant, plein les yeux et les oreilles.
Cerise sur le gâteau : le jeu des comédiens. Au cordeau. Pierre Forrest est un génial Barbe Bleue, Cédric Colas figure un majordome lunaire, quasi-perché - la scène de l'omelette est digne d'anthologie -, il chante, danse, déclame, on le croirait tout juste sorti du conte, Gisèle Worthington et Helen Ley sont espiègles, fougueuses et bravaches à souhait.
Vous l'aurez compris, c'est, une fois encore, un sans-faute pour Frédérique Lazarini !
Paru le 13/07/2023