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© Xavier Canta
D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
"L’Armoire à poésie", de Jacques Forgeas
Une armoire à glaces qui réfléchissent et font réfléchir.

Le Festival bat son plein et l'Oriflamme n'est pas en reste qui, après « Nais », une super-pépite découverte l'an dernier, a déniché cette année dans une brocante littéraire un ouvrage rare, une ode à la poésie et à la transmission qui se lit d'une traite.
La délectation est à son comble quand l'œuvre est portée sur la scène de ce joli théâtre.
Madame Durand, agrégée de lettres et amoureuse de la poésie va, en arrivant chez elle - la porte est déjà ouverte - se retrouver dans un tribunal imaginaire, après l'incursion inopinée de deux de ses anciens élèves qui, vingt ans après, viennent instruire son procès. Un procès en quoi, me direz-vous ? En sorcellerie ? On n'est pas loin de le penser car c'est la force de l'imaginaire poétique qui est mis en cause. Loin du prosaïque, du matériel, il serait vécu comme une ouverture à la vie, mais quelle vie ? Pis encore, comme un endoctrinement. Jennifer et Lucas, élèves procureurs et juges à la fois font le constat amer d'une vie, de leur vie, gâchée par l'illusion, faisant le parallèle entre une instruction qui élève l'âme mais ne nourrit pas, matériellement s'entend, et un bachotage éducatif mercantile qui prépare à des diplômes et offre un confort de vie épanouissant.

Interloquée, voire abasourdie, Madame Durand va devoir se défendre bec et ongles, interroger la Cour -imaginaire - sur tous ces chefs d'accusation infondées, farfelus, incongrus, en ravivant les souvenirs des 5 à 7 du Club de poésie les jeudis. Elle a, vingt ans après, le même souffle, la même rage et même cette candeur mêlée de certitudes. Elle sait la force des mots, ces mots qui construisent, qui instruisent, qui donnent du baume à l'âme grâce à leur puissance. On s'envole et on honore cet art divinatoire de la transmission, magistralement représenté dans la mise en scène par un mouvement de poulie qui, tour à tour, voit passer des petits billets poétiques, des messages, qui convoquent d'autres personnages  - imaginaires, ou pas - les voisins.

On ne saurait spoiler l'issue du procès, juste vous dire que pendant 70 minutes, nous vivons un rêve éveillé grâce à la délicate et élégante mise en scène de Denis Malleval et au jeu subtil des trois comédiens : Baptiste Caillaud (sobre, puissant et touchant), Chloé Stefani ((délicate et fine) et, last but not least, la merveilleuse Véronique Boulanger qui, par son ton fluté, sa voix très douce et son jeu d'étonnements successifs, trouverait une parentèle artistique avec feue Madeleine Renaud.

Vous l'aurez compris, c'est en tous points, une réussite et, à en juger par la programmation du lieu, ce n'est qu'un début ! Ouvrez grand cette armoire !

Théâtre l'Oriflamme
3-5, rue du Portail Matheron
84000. AVIGNON
Paru le 10/07/2023