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Franck Desmedt
© Laurencine Lot
Dossier par Jeanne Hoffstetter
La Promesse de l’aube
de Romain Gary

Roman sans en être un, autobiographie sans en être une, mais un hommage à une mère omniprésente et à son amour inconditionnel aux conséquences aussi bénéfiques que destructrices. Entre rêverie et réalité, passé et présent, un livre magnifique dont Stéphane Freiss et Franck Desmedt se sont emparés pour en donner chacun leur vision à travers deux spectacles fort différents. Le premier en tournée, le second au Lucernaire.
Stéphane Freiss,
adapte, met en scène et joue le spectacle en tournée.

Au fil du temps et du travail que cela suppose, après les lectures publiques qu'il en a faites, il fait sien ce livre et se prend de passion pour l'auteur et son œuvre, pour cet homme qui ne cesse d'intriguer. Au point d'en faire aujourd'hui un vrai spectacle.

« «La Promesse de l'aube» a été pour moi un vrai choc qui m'a laissé totalement fasciné et s'est étendu bien au-delà. Je me retrouvais entre chaque page des livres de Gary que je lisais, aussi éclectiques qu'ils puissent être. J'étais dans un rapport fusionnel avec cet homme. Quel que soit le sujet qu'il aborde, il a cette faculté de rire de lui-même et des événements, d'être Gary, Ajar et tous les autres en faisant un pied de nez à la vie, tout en lui vouant un culte incroyable. Il est pour moi un des grands auteurs du vingtième siècle, et l'un de ses très grands hommes ! Il était aussi très en avance sur son temps sur de nombreux sujets. C'était un pionnier de l'écologie. Et sous des dehors un peu macho, venus de l'éducation qu'il avait reçue de sa mère, il parlait de la féminité qu'il avait en lui et posait sur les femmes un regard qui n'était plus celui des hommes de sa génération. Bref, il est pour moi l'exemple même du héros moderne. »

Il ne suffit pas de venir au monde pour être né. Écrivait Gary dans Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable. « Cette phrase résume tout son engagement et c'est le sujet de «La Promesse de l'aube». Depuis sa naissance sa mère imaginait pour lui un grand destin, cherchant inlassablement la discipline qui le révélerait. Malgré ses difficultés il a honoré à peu près tous ses espoirs. Ce n'est que lorsqu'il a appris sa mort à la fin de la guerre, alors que son décès était survenu trois ans plus tôt, qu'il s'en est rendu compte. Je pense que c'est une partie de ce qui explique ce jeu de cache-cache auquel il s'est livré ensuite avec lui-même et avec ces auteurs qu'il a inventés. Comme un homme qui cherche à s'éloigner au plus loin de lui pour mieux parvenir à être lui-même. »

Je suis très, très heureux de l'aventure que je vis avec ce spectacle. « Les gens retiennent souvent de «La Promesse de l'aube» sa partie douloureuse, mais il y a aussi des passages drôles et touchants sur le chemin qui l'a conduit à devenir écrivain. C'est ce à quoi je me suis attaché pour construire quelque chose qui m'amusait, et qui amuse aussi beaucoup les spectateurs. Évidemment on n'échappe pas au rapport à la mère qui d'une certaine manière se résume en une phrase lorsqu'il écrit : « C'est ainsi que la musique, la danse et la peinture successivement écartés, nous nous résignâmes à la littérature... » Pour un homme qui a obtenu deux fois le prix Goncourt, je trouve ça magnifique ! C'est un hymne à la vie, à l'audace, à l'envie d'entreprendre, au risque... Ça dit aussi que parfois le mot vocation ne veut pas dire grand-chose. Pour moi c'est un testament plein d'espoir et de vie pour une jeunesse en mal d'idéal qui se cherche une raison d'être, une motivation dans l'époque extrêmement morose que nous vivons.»


Franck Desmedt,
directeur du théâtre de la Huchette, adapte cette œuvre et joue au Théâtre du Lucernaire. Mise en scène Stéphane Laporte, lumières Laurent Béal.

« «La Promesse de l'aube», est un de mes livres de chevet. J'avais commencé quand j'étais au lycée par «Les Racines du ciel», son premier prix Goncourt. Ce qui m'a intéressé dans «La Promesse» c'est que l'on plonge dans une autobiographie fictionnelle qui renforce à mon avis le côté mythique d'un personnage qui a bâti sa vie comme une œuvre. J'ai lu beaucoup de textes consacrés à ce livre et il semblerait qu'un certain nombre de choses soient inventées, comme les 250 lettres que sa mère lui aurait écrites en demandant à une amie de les poster régulièrement après sa mort pour lui faire croire qu'elle était toujours en vie. Le mensonge est au cœur de son histoire. Sa mère mentait, affabulait beaucoup et le voyait certainement beaucoup plus fort qu'il n'était. Poussé par elle qui les lui imposait, ses tentatives se soldaient par des humiliations car il n'était pas à la hauteur de ses attentes. Il devait parfois se cacher, cacher ses origines juives aussi. Alors je dirais presque que dans tout ce qu'il raconte, la fiction est plus importante que la réalité. »

Je n'avais que huit ans mais ma décision était prise : tout ce que ma mère voulait j'allais le lui donner. Écrit-il dans La promesse de l'aube. « Oui, son enfance explique l'homme qu'il deviendra, en essayant toujours d'être conforme aux ambitions totalement folles de sa mère qui projetait sur lui tout ce qu'elle aurait aimé vivre. Elle l'a rêvé danseur, violoniste, peintre, acteur, écrivain, rivalisant toujours avec les plus grands. Elle le voulait aussi ambassadeur de la France, et n'avait aucun doute sur le fait qu'il le deviendrait. Il est devenu écrivain parmi les plus grands du vingtième siècle, et Consul de France à Los Angeles. »

« J'ai conçu mon spectacle en choisissant de m'attarder sur la partie relative à l'enfance, car il y a là tout le mystère qui entoure ce personnage énigmatique qui s'est construit une deuxième vie en parallèle. J'interprète une galerie de personnages qui ont jalonné son parcours de l'enfance à la guerre, et je m'amuse même à un moment donné à déboulonner un peu la figure de de Gaulle. Mais je ne change pas de costume, je déteste les accessoires. Je trouve que ça relève de la performance, que ça fait passer l'acteur avant le texte. .J'aime incarner, devenir un personnage, sans fioritures ni éléments extérieurs. Et donc le travail est de rester crédible avec soi uniquement ! »

Et pendant ce temps-là, au théâtre de la Huchette « On prend tous les risques en faisant des créations quelle que soit la période. Comme Flagrant déni qui regroupe cinq petits textes truculents de Maupassant que je suis très fier de défendre ! »
Paru le 27/12/2021