L'immense scène de la MC93 arrive à contenir une "piscine", un kiosque et même deux musiciens, et c'est finalement cette mise en scène qui EST le spectacle. Michele est à la recherche de ses repères, noyé dans une équipe de waterpolo qu'une arbitre surveille dans une chorégraphie d'automate. Il s'interroge sur l'enlisement progressif des grandes idées humanisto-communistes mais le propos vire plus largement vers une séquence nostalgie du coeur du 20ème siècle, ressuscité par quelques chansons de variétés italiennes en live et des extraits de Dr Jivago. La scène du tramway est un instant de grâce. Où viser ? Où tirer ? L'essentiel est de garder son cap.

De la relation entre le cinéma et le théâtre, Mathieu Bauer semble avoir une conception moniste : l'un se déverse dans l'autre, l'un contient l'autre, l'un prend la forme de l'autre, et cela sans retenue, jusqu'à l'excès - ils sont dans une unité indivisible, et indissociable de la musique, dans la plus jouissive lignée du burlesque. On n'oubliera jamais ce décor monumental de la piscine qui compartimente l'espace et le temps de la mémoire, où Nicolas Bouchaud plonge, avec tant de gracieuseté, pour retrouver son identité. Chorégraphies désopilantes du match de water-polo et extraits déchirants du "Docteur Jivago" ont pour solide lien abstrait l'élément liquide de la musique : Michele se trouve dans un entre-deux, hors du monde et en plein dedans, dans des eaux insoupçonnées ou marchant lunaire sur l'eau. C'est un puzzle qui se complète peu à peu, jusqu'à la perte d'une certaine innocence, d'un irréel palais de glace.
Le monde réel est suspendu, dérobé par magie durant 1h40, le temps d'un bonheur absolu.