Zoom par Philippe Escalier
Killer Joe
Théâtre de l’Œuvre
Pour la première fois en France, Tracy Letts fait débarquer sa pièce culte « Killer Joe » sur les planches parisiennes. Au Théâtre de l'Œuvre, Patrice Costa signe une mise en scène qui plonge le spectateur dans l'Amérique des laissés-pour-compte. Trash, violent, souvent drôle et toujours dérangeant, ce thriller familial secoue autant qu'il fascine. Une proposition théâtrale rare qui assume sa brutalité pour mieux révéler l'humanité au fond du gouffre.
Le rideau de fer se lève sur un univers de tôle et de néons roses. Dès les premières secondes, un cri déchire la salle, une guitare électrique rugit depuis le balcon. Chris surgit alors des travées, cognant sur le décor comme un animal traqué. Il cherche sa sœur Dottie dans ce mobile home texan qui pue la bière rance et les rêves avortés. Bienvenue dans l'Amérique profonde version Tarantino, celle où l'on tue pour cinquante mille dollars d'assurance-vie.
La pièce de Tracy Letts, créée en 1993 à New York, trouve enfin sa version française grâce à l'adaptation de Patrice Costa et Sophie Parel. Le metteur en scène ne cherche ni à édulcorer ni à embellir cette histoire de pauvres types prêts à commettre l'impensable. Son parti pris est radical : tout montrer, tout exposer, sans filtre ni pudeur. Georges Vauraz campe un décor crasseux entre dîner miteux et appartement délabré, où chaque détail respire la déchéance. Les lumières crues de Denis Koransky accentuent cette esthétique du malaise.
Rod Paradot, révélé par « La Tête haute » et récompensé d'un César en 2016, compose un Chris fiévreux et désespéré. Le jeune comédien, qui a depuis enchaîné les rôles au cinéma et obtenu un Molière au théâtre, trouve ici l'un de ses personnages les plus âpres. Sa nervosité animale contamine le plateau dès son entrée fracassante. Face à lui, Benoît Solès, qui a également participé à l'adaptation, délaisse la douceur d'Alan Turing qu'il incarne depuis des années pour endosser le costume du prédateur. Son Joe Cooper, flic le jour et tueur à gages la nuit, distille une menace sourde et vénéneuse. Le comédien, doublement lauréat aux Molières 2019 pour « La Machine de Turing », prouve une fois encore son registre étendu en incarnant cette âme noire avec une perversité glaçante.
Pauline Lefèvre dessine une Sharla outrageusement vulgaire et sexy, oscillant entre provocation gratuite et fragilité déguisée. Portée par le succès de ses débuts dans « L'Envers du décor » aux côtés de Daniel Auteuil, elle ose ici une partition extrême. Olivier Sitruk, formé au Conservatoire et révélé au cinéma par Bertrand Tavernier dans « L'Appât », incarne Ansel, le père pathétique, avec une justesse troublante. Son personnage apathique et maladroit devient presque attachant dans sa médiocrité.
Mais c'est Carla Muys qui, dans le rôle de Dottie, la jeune sœur lunaire, apporte la touche la plus énigmatique. Oscillant entre innocence enfantine et lucidité dérangeante, elle traverse ce chaos familial comme un fantôme éveillé. Son corps évanescent contraste avec la brutalité ambiante et fait d'elle le véritable pivot dramatique du spectacle.
Patrice Costa prend le risque du grand théâtre populaire, celui qui ne détourne jamais le regard. Il montre la bêtise, la pulsion brute, la misère existentielle sans jamais moraliser. Neil Chablaoui accompagne le tout à la guitare électrique, créant une atmosphère rock qui souligne l'hystérie collective. Yann Coste complète cette bande-son abrasive qui transforme le Théâtre de l'Œuvre en laboratoire du malaise.
On sort secoué de « Killer Joe », une expérience extrême qui rappelle que le théâtre peut encore surprendre, déranger et réveiller.
La pièce de Tracy Letts, créée en 1993 à New York, trouve enfin sa version française grâce à l'adaptation de Patrice Costa et Sophie Parel. Le metteur en scène ne cherche ni à édulcorer ni à embellir cette histoire de pauvres types prêts à commettre l'impensable. Son parti pris est radical : tout montrer, tout exposer, sans filtre ni pudeur. Georges Vauraz campe un décor crasseux entre dîner miteux et appartement délabré, où chaque détail respire la déchéance. Les lumières crues de Denis Koransky accentuent cette esthétique du malaise.
Rod Paradot, révélé par « La Tête haute » et récompensé d'un César en 2016, compose un Chris fiévreux et désespéré. Le jeune comédien, qui a depuis enchaîné les rôles au cinéma et obtenu un Molière au théâtre, trouve ici l'un de ses personnages les plus âpres. Sa nervosité animale contamine le plateau dès son entrée fracassante. Face à lui, Benoît Solès, qui a également participé à l'adaptation, délaisse la douceur d'Alan Turing qu'il incarne depuis des années pour endosser le costume du prédateur. Son Joe Cooper, flic le jour et tueur à gages la nuit, distille une menace sourde et vénéneuse. Le comédien, doublement lauréat aux Molières 2019 pour « La Machine de Turing », prouve une fois encore son registre étendu en incarnant cette âme noire avec une perversité glaçante.
Pauline Lefèvre dessine une Sharla outrageusement vulgaire et sexy, oscillant entre provocation gratuite et fragilité déguisée. Portée par le succès de ses débuts dans « L'Envers du décor » aux côtés de Daniel Auteuil, elle ose ici une partition extrême. Olivier Sitruk, formé au Conservatoire et révélé au cinéma par Bertrand Tavernier dans « L'Appât », incarne Ansel, le père pathétique, avec une justesse troublante. Son personnage apathique et maladroit devient presque attachant dans sa médiocrité.
Mais c'est Carla Muys qui, dans le rôle de Dottie, la jeune sœur lunaire, apporte la touche la plus énigmatique. Oscillant entre innocence enfantine et lucidité dérangeante, elle traverse ce chaos familial comme un fantôme éveillé. Son corps évanescent contraste avec la brutalité ambiante et fait d'elle le véritable pivot dramatique du spectacle.
Patrice Costa prend le risque du grand théâtre populaire, celui qui ne détourne jamais le regard. Il montre la bêtise, la pulsion brute, la misère existentielle sans jamais moraliser. Neil Chablaoui accompagne le tout à la guitare électrique, créant une atmosphère rock qui souligne l'hystérie collective. Yann Coste complète cette bande-son abrasive qui transforme le Théâtre de l'Œuvre en laboratoire du malaise.
On sort secoué de « Killer Joe », une expérience extrême qui rappelle que le théâtre peut encore surprendre, déranger et réveiller.
Paru le 12/12/2025
(55 notes) THÉÂTRE DE L'ŒUVRE Jusqu'au dimanche 4 janvier 2026
THÉÂTRE CONTEMPORAIN à partir de 16 ans. Chris doit trouver de l’argent de toute urgence pour sauver sa peau. Sans un sou, sans famille pour l’aider, il va alors imaginer l’impensable : commettre un meurtre pour récupérer une assurance vie à 50 000 $ ! Pour arriver à ses fins, il décide de faire appel à Joe Cooper, flic le jour et tueur ...
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