L'un est petit et grimacier à souhait, un clown en somme, l'autre est longiligne et à la fois austère et perché. Ces deux-là, ce sont - dans l'ordre d'apparition - Pécuchet et Bouvard, deux employés de bureau qui, par le hasard d'une rencontre, vont se trouver des affinités communes et devenir en un tournemain les meilleurs amis du monde. A s'entendre comme larrons en foire, ils vont vivre une expérience de vie commune à la faveur d'un héritage. Entre personnages à la Tati ou Buster Keaton, on les verrait bien évoluer dans un film en noir et blanc, d'autant que des pancartes au lettrage si significatif séquencent, comme chez Chaplin, leurs aventures. Nous sommes dans la seconde moitié du XIXè siècle et ces deux personnages, burlesques à souhait, anti-héros sympathiques et losers XXL nous entrainent dans des tribulations aussi émouvantes que cocasses. En quittant Paris et en s'installant à la campagne, ces deux naïfs, qui ont une soif absolue de connaissances et veulent tout expérimenter vont vite déchanter.

Bien que critique, méfiant, précautionneux, Pécuchet suit Bouvard, exalté à souhait, toujours partant pour de nouvelles épreuves avec, à la fin des fins, des espoirs brisés. Quoi qu'ils fassent, tout tombe à l'eau. Il y a sûrement de la rancœur, de l'amertume chez Flaubert à la fin de sa vie (ses piques répétées à l'encontre de la gent féminine en sont en partie l'illustration) mais en présentant ce tableau du Second Empire, qui voit apparaître la révolution industrielle de manière aussi décalée, presque comme une farce, c'est tout le scepticisme de l'auteur qu'on voit poindre. Bouvard et Pecuchet sont deux clowns très différents, d'ailleurs ils ne sont jamais d'accord, doutent de tout et pourtant ils se suivent. Autant dire que Jean-Paul Farré et Marc Choupapart s'en donnent à coeur joie dans cet exercice scénique qu'ils rendent enlevé et jubilatoire. C'est rythmé, loufoque, magnifiquement interprété avec cet avantage rare devant une salle pleine et un public aussitôt conquis : voir les jeunes scolaires rire à l'unisson avec leurs ainés. Chapeau, Messieurs !