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D.R.
Zoom par Philippe Escalier
Les 52ème Folies Gruss
L’Héritage en lumière

Au carrefour des Cascades, à l'orée du Bois de Boulogne, le chapiteau familial est devenu le palais des mémoires. Avec cette 52ème création, la dynastie Gruss franchit un seuil inédit en transformant son répertoire circassien en partition chantée. L'idée de faire dialoguer l'art équestre avec les codes de la scène musicale contemporaine pourrait sembler périlleuse. Pourtant, dès l'ouverture orchestrale, l'osmose s'impose. Dirigé par Stephan Gruss avec la complicité scénographique de Grégory Antoine, ce spectacle dense refuse les facilités du divertissement formaté pour plonger dans l'intimité d'une transmission artistique bouleversante.
Le prétexte narratif se déploie avec une naïveté touchante mais non sans finesse : comment naît un spectacle Gruss ? La troupe nous convie dans les coulisses de sa propre alchimie créatrice, dévoilant les tâtonnements, les audaces, les fulgurances qui président à chaque nouvelle proposition, souvent avec une pointe d'humour. Cette mise en abyme devient le terreau d'une célébration émouvante de la famille comme creuset artistique. Trois générations se côtoient en piste, des aînées Gipsy Gruss et Svetlana Gruss jusqu'aux benjamines Gloria Florees et Venecia Florees, tissant devant nous la chaîne vivante d'un savoir-faire transmis de main en main, de regard en regard. L'absence du patriarche Alexis Gruss, disparu en 2024, plane sur l'ensemble comme une présence tutélaire que chacun honore à sa manière, par la grâce d'un souvenir, dune figure équestre ou l'élan d'une voltige aérienne.
La cavalerie demeure évidemment l'épine dorsale de l'édifice. De nombreux chevaux de races variées évoluent sous la direction impeccable de Maud Gruss, qui perpétue l'exigence paternelle du dressage précis et respectueux. Chaque race possède ses caractéristiques propres et le spectacle célèbre cette diversité animale avec une science du rythme remarquable. Les numéros se succèdent dans une accélération progressive qui culmine avec un grand numéro de virtuosité où les cavaliers enchaînent sauts et voltiges sur des montures lancées au galop. Firmin Gruss, les jumeaux Charles et Alexandre Gruss y déploient une maîtrise confondante, mêlant puissance athlétique et légèreté chorégraphique.

Mais cette création affirme également son ambition aérienne avec une intensité troublante. Le jeune Alexander Malachikhin, nouvelle recrue de la compagnie, s'impose d'emblée par un numéro de sangles qui sidère par sa fluidité musculaire et son amplitude gestuelle. Suspendu à plusieurs mètres du sol, l'acrobate sculpte l'espace avec une élégance tout en retenue, alternant les figures de force pure et les tableaux contemplatifs où le corps semble flotter dans un ralenti onirique. Sa prestation dialogue magnifiquement avec celles de Pauline Mikolajczyk et Jeanne Gruss, qui maîtrisent le tissu aérien et le cerceau avec une grâce souveraine. L'équilibre entre l'esthétique circassienne traditionnelle et les codes contemporains du nouveau cirque s'installe ici avec fluidité, chaque artiste apportant sa singularité sans rompre l'harmonie d'ensemble.
La dimension musicale constitue l'autre grande réussite du spectacle. Les compositions originales de Sylvain Rolland, Massimo Murgia, Julien Teissier et Cyril Moret enveloppent chaque tableau d'une atmosphère spécifique, du lyrisme intimiste aux envolées festives. Margot Soria, chanteuse de talent et coautrice des textes, habite la scène vocale avec un tempérament affirmé. L'orchestre en direct, composé de sept musiciens, insuffle une énergie palpable que nulle bande préenregistrée ne saurait égaler. Cette présence sonore vivante dialogue constamment avec les corps en mouvement, créant une texture sensible où le geste et la note se répondent dans un jeu de miroirs subtil.
La scénographie de Grégory Antoine, conjuguée aux costumes de Sylvain Rigault, opte pour une palette chromatique éclatante sans verser dans le clinquant. Lumières changeantes, jeux d'ombres sur la toile du chapiteau, accessoires minimaux qui laissent toute latitude aux corps et aux animaux : tout concourt à faire de la piste un espace de projection imaginaire où chaque spectateur peut broder sa propre rêverie. L'ensemble respire une générosité franche, un désir communicatif de partager l'excellence sans ostentation.
Qui mieux que les Gruss pouvait célébrer la famille avec autant de conviction et de force ? Le spectacle possède cette vertu cardinale de conjuguer une extraordinaire technique et une profonde humanité. Dans ce grand moment d'unité, aucun numéro ne semble gratuit, chacun s'inscrit dans la trame narrative comme une confidence ou un aveu. Célestine Gruss, Olivia Gruss, les sœurs Florees : tous affirment leur personnalité propre tout en servant une vision collective qui transcende les ego. Cette cohésion familiale, loin d'être une simple image d'Épinal, irrigue chaque instant du spectacle d'une authenticité rare dans l'univers du divertissement contemporain.
Les Folies Gruss signent avec cette 52ème création une œuvre mûre et profondément émouvante, qui honore la mémoire d'Alexis Gruss tout en projetant la compagnie vers de nouveaux horizons. Entre tradition équestre et audaces scéniques, intimité familiale et ambition spectaculaire, Stephan Gruss et les siens trouvent un équilibre fragile et précieux. Un spectacle habité, généreux, drôle, qui fait briller dans nos regards d'adultes la lumière intacte de l'enfance et qui nous a profondément touchés.
Paru le 14/11/2025

(2 notes)
FOLIES GRUSS (LES) - 52e CRÉATION
CHAPITEAU ALEXIS GRUSS
Jusqu'au dimanche 29 mars 2026

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