Zoom par Philippe Escalier
Andromaque
Les Gémeaux Parisiens
Créée en 1667, cette troisième tragédie du dramaturge marqua une rupture décisive dans l'histoire du théâtre français : Racine y abandonnait définitivement l'héroïsme cornélien pour plonger dans les abîmes de la psyché humaine, explorant la part d'ombre qui habite chacun de ses personnages. Anne Coutureau en signe une superbe mise en scène offrant au public, sous le charme, une relecture aussi rigoureuse que vibrante.
Le dispositif scénique d'une nudité assumée concentre toute l'attention sur l'essentiel : la parole, le corps, l'émotion. Les lumières de Patrice Le Cadre sculptent l'espace et dessinent les zones d'ombre où se trament les vengeances, tandis que les costumes de Frédéric Morel ancrent l'action dans une mythologie intemporelle, où se mêlent les époques et les horizons. Ce dépouillement scénique ne constitue nullement un appauvrissement : il révèle au contraire la puissance architecturale du texte, cette géométrie des passions que le poète a agencée avec une rigueur implacable.
Les huit jeunes comédiens réunis par Anne Coutureau pour incarner la force et la grâce du texte sont éblouissants. Eléonore Lenne Le Chevalier est impressionnante et magistrale dans le rôle-titre ; face à elle, Louka Meliava en Pyrrhus déploie toute l'étendue de son talent, incarnant avec finesse ce roi déchiré entre sa passion pour la captive troyenne et les impératifs politiques qui l'assaillent. L'éclatante Marine en Hermione, Matthieu Pastore (Pylade) et Rode Safollahi, incarnant Oreste, insufflent une étonnante fraîcheur aux alexandrins tout en bénéficiant de la présence tutélaire de Sébastien Gorski, Oréade Gagneux et Perrine Sonnet. La diction échappe au piège de la déclamation ampoulée pour restituer toute la beauté de la langue classique avec une vivacité bienvenue. Les vers retrouvent leur souffle naturel, comme si cette prosodie exigeante constituait le langage même de la passion et du désespoir. Faire entendre la musicalité du texte tout en creusant la profondeur psychologique de leur personnage n'est pas la moindre de leur réussite.
Les chorégraphies de Serena Malacco et la musique de Woodkid viennent ponctuer cette danse macabre, créant des respirations entre les scènes où la tension dramatique atteint son paroxysme. Ces interludes chorégraphiques donnent une dimension presque rituelle à cette tragédie où chacun est pris au piège de ses propres désirs.
On sait que Racine construit dans "Andromaque" une chaîne fatale où chacun aime sans être aimé en retour : Oreste est obsédé par Hermione qui brûle pour Pyrrhus qui désire Andromaque, elle-même tout entière tournée vers le souvenir de son Hector disparu. C'est là le cœur battant de la tragédie : en déroulant les fils enchevêtrés de ces passions amoureuses, le dramaturge interroge la nature même du désir humain et démonte sa mécanique universelle. Plus l'objet s'éloigne, plus le désir s'exacerbe jusqu'à la folie ou la mort. Racine pousse le jeu à l'extrême en situant l'objet hors d'atteinte, condamnant ses personnages à l'impasse tragique. Il scrute ainsi la violence souterraine qui sommeille chez certains, cette sauvagerie que la raison peine à contenir et qui menace à tout instant de renverser l'ordre établi.
En dépouillant la scène de tout artifice, Anne Coutureau crée un espace de pure concentration dramatique où la tragédie déploie toute sa force. Le travail sur les corps, les jeux de lumière, les maquillages signés par Laétitia Rodriguez et le brio des comédiens transforment cette histoire vieille de plus de trois siècles en une fable universelle sur l'emprise du désir et la violence des passions. Cette version d'Andromaque nous confronte à une expérience théâtrale intense, où la beauté du vers racinien dialogue avec la brutalité des sentiments qu'il exprime. Car c'est bien là le prodige de cette mise en scène : faire entendre combien Racine inventait, au milieu du XVIIème siècle, le théâtre moderne, explorateur des territoires interdits de l'âme humaine.
Les huit jeunes comédiens réunis par Anne Coutureau pour incarner la force et la grâce du texte sont éblouissants. Eléonore Lenne Le Chevalier est impressionnante et magistrale dans le rôle-titre ; face à elle, Louka Meliava en Pyrrhus déploie toute l'étendue de son talent, incarnant avec finesse ce roi déchiré entre sa passion pour la captive troyenne et les impératifs politiques qui l'assaillent. L'éclatante Marine en Hermione, Matthieu Pastore (Pylade) et Rode Safollahi, incarnant Oreste, insufflent une étonnante fraîcheur aux alexandrins tout en bénéficiant de la présence tutélaire de Sébastien Gorski, Oréade Gagneux et Perrine Sonnet. La diction échappe au piège de la déclamation ampoulée pour restituer toute la beauté de la langue classique avec une vivacité bienvenue. Les vers retrouvent leur souffle naturel, comme si cette prosodie exigeante constituait le langage même de la passion et du désespoir. Faire entendre la musicalité du texte tout en creusant la profondeur psychologique de leur personnage n'est pas la moindre de leur réussite.
Les chorégraphies de Serena Malacco et la musique de Woodkid viennent ponctuer cette danse macabre, créant des respirations entre les scènes où la tension dramatique atteint son paroxysme. Ces interludes chorégraphiques donnent une dimension presque rituelle à cette tragédie où chacun est pris au piège de ses propres désirs.
On sait que Racine construit dans "Andromaque" une chaîne fatale où chacun aime sans être aimé en retour : Oreste est obsédé par Hermione qui brûle pour Pyrrhus qui désire Andromaque, elle-même tout entière tournée vers le souvenir de son Hector disparu. C'est là le cœur battant de la tragédie : en déroulant les fils enchevêtrés de ces passions amoureuses, le dramaturge interroge la nature même du désir humain et démonte sa mécanique universelle. Plus l'objet s'éloigne, plus le désir s'exacerbe jusqu'à la folie ou la mort. Racine pousse le jeu à l'extrême en situant l'objet hors d'atteinte, condamnant ses personnages à l'impasse tragique. Il scrute ainsi la violence souterraine qui sommeille chez certains, cette sauvagerie que la raison peine à contenir et qui menace à tout instant de renverser l'ordre établi.
En dépouillant la scène de tout artifice, Anne Coutureau crée un espace de pure concentration dramatique où la tragédie déploie toute sa force. Le travail sur les corps, les jeux de lumière, les maquillages signés par Laétitia Rodriguez et le brio des comédiens transforment cette histoire vieille de plus de trois siècles en une fable universelle sur l'emprise du désir et la violence des passions. Cette version d'Andromaque nous confronte à une expérience théâtrale intense, où la beauté du vers racinien dialogue avec la brutalité des sentiments qu'il exprime. Car c'est bien là le prodige de cette mise en scène : faire entendre combien Racine inventait, au milieu du XVIIème siècle, le théâtre moderne, explorateur des territoires interdits de l'âme humaine.
Paru le 04/11/2025
(12 notes) THÉÂTRE DES GEMEAUX PARISIENS Jusqu'au lundi 2 février 2026
COMÉDIE DRAMATIQUE RÉPERTOIRE CLASSIQUE à partir de 10 ans. Un an après la chute de Troie, le victorieux roi Pyrrhus, fils d'Achille, a ramené Andromaque, veuve d'Hector, et leur très jeune fils en Epire, comme butins de guerre. Les Grecs ne sont pas tranquilles de savoir cet enfant en vie, potentiel vengeur des Troyens. Oreste, fils d'Agamemnon, vient en ...
|




