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© Alejandro Brito
Portrait par Philippe Escalier
Ruben Molina
Danseur

* Rubén Molina, la traversée flamboyante d'un passeur de flamenco.

Il a ébloui le festival d'Avignon avec La Salida, un spectacle de flamenco d'une beauté saisissante dont il donnera deux représentations à La Scala le 25 novembre. Par ailleurs, il est à l'affiche de Dolorès au Théâtre Actuel La Bruyère. Une actualité riche qui permet de découvrir le travail et la trajectoire d'un danseur hors du commun.
* Ses débuts entre Cordoue et Madrid.

Né en 1985 à Cordoue, berceau historique du flamenco andalou, Rubén Molina découvre la danse à sept ans à travers un film qui va le marquer à tout jamais, Los Tarantos de Francisco Rovira Beleta, l'histoire de Roméo et Juliette transposée dans l'univers gitan de Barcelone. C'est un déclic qui le pousse vers la danse et l'amène à suivre l'enseignement de Nieves Camacho. Cette vocation précoce le conduit dès neuf ans au conservatoire de sa ville natale, où il manifeste déjà, à treize ans, un goût prononcé pour la transmission en dispensant ses premiers cours. À quinze ans, le jeune prodige, toujours soutenu par sa famille, quitte l'Andalousie pour Madrid, s'immergeant dans le bouillonnement artistique du Conservatoire Professionnel de Danse et de la mythique école Amor de Dios. Là, il affine son art auprès de maîtres comme Antonio Reyes, Miguel Cañas, Domingo Ortega et Paco Romero. Un passage à Londres lui permet d'élargir sa palette en explorant le jazz et la danse contemporaine, enrichissant ainsi son langage chorégraphique d'une ouverture qui deviendra sa signature.

* Une carrière internationale dans les plus grandes compagnies.

Dès l'âge de dix-sept ans, Rubén Molina entame une carrière professionnelle éblouissante. Entre 2003 et 2013, il intègre les formations les plus prestigieuses de la scène espagnole : le Ballet Espagnol de la Télévision Nationale, la compagnie d'Antonio Márquez (récompensée par le Critics Award au Festival de Jerez en 2005), le Ballet Flamenco José Porcel. Honneur immense, en 2007, le réalisateur Franco Zeffirelli le convie à danser La Traviata à l'Opéra de Rome, rencontre déterminante qui marquera sa sensibilité théâtrale. Premier danseur de la compagnie d'Isabel Pantoja, il sillonne l'Espagne, le Portugal et le Mexique avant de devenir soliste au Ballet-Théâtre espagnol de Rafael Aguilar. Durant quatre ans, il incarne le rôle principal d'El Marido dans la tournée mondiale de Carmen Flamenco, se produisant dans les grands opéras de Pékin, Taiwan, Australie et à travers l'Europe.

* Paris, l'éclosion d'une écriture personnelle.

Fin 2013, Rubén Molina fait le choix audacieux de quitter Madrid (où il retourne régulièrement) pour s'installer à Paris. Cette rupture géographique marque une rupture artistique : tout va changer et le danseur soliste devient créateur. Deux ans après son arrivée, il présente au Théâtre du Marais Suspiro, première pierre d'un édifice créatif qui ne cessera de s'élever. Le succès est au rendez-vous avec Nuit Flamenco au Café de la Danse, puis son Acte II en 2017, et Patio Flamenco en 2018 au Théâtre du Gymnase Marie Bell, joué à guichets fermés pendant deux mois. En 2020, Mátame franchit un cap en mêlant flamenco, théâtre et univers de la corrida dans une approche résolument hybride. Parallèlement, il fonde l'Institut Flamenco Paris, lieu de transmission où sa pédagogie, nourrie de ses racines andalouses et de son expérience scénique, forme une nouvelle génération de danseurs.

* Un artiste aux collaborations prestigieuses.

Au-delà de ses créations, Rubén Molina multiplie les collaborations qui témoignent de sa polyvalence. Il travaille avec la chorégraphe Blanca Li dans son cabaret Las Fiestas de Blanca Li au Maxim's, signe les chorégraphies des clips Conquistador et Desperado de Kendji Girac, et participe au spectacle de clôture de la finale du Top 14 au Stade de France en 2022. La haute couture le sollicite également : il chorégraphie pour la London Fashion Week en 2017, la maison Christian Dior en 2019, le Grand Bal Masqué du Château de Versailles avec Hakim Ghorab, et le défilé de la designer Juana Martín lors de la Paris Fashion Week 2023. En 2024, le musée Picasso lui confie une carte blanche pour une performance silencieuse dans les salles dédiées aux portraits de femmes, moment d'intensité épurée où il dialogue avec l'œuvre du peintre espagnol.

* "La Salida", une œuvre cathartique qui a bouleversé Avignon.

Créée en 2024 au Théâtre de l'Atelier, La Salida ("La Sortie") représente un tournant dans le parcours de Rubén Molina. Pour la première fois, l'artiste s'ancre dans une blessure intime, celle du harcèlement scolaire subi durant son enfance. "Je ne savais pas que j'avais besoin de créer cette pièce. C'est en l'écrivant que tout s'est révélé", confie-t-il. Habitué à une approche quasi obsessionnelle de la composition, il choisit cette fois de laisser le mouvement naître avec les interprètes. Six artistes, danseurs et musiciens, tissent avec lui une fresque collective où chacun expose ses propres cicatrices : grossophobie, lesbophobie, mémoire du génocide arménien. "Ce que l'on ne peut pas dire, on le danse", résume le chorégraphe.
Présenté cet été 2025 au Théâtre Golovine lors du Festival OFF d'Avignon, le spectacle mêle flamenco, danse contemporaine, voix, musique live et théâtre pour créer un langage universel qui transcende les mots. La pièce symbolise une échappée, un voyage permettant de donner voix aux minorités invisibilisées. Accompagné de Lori La Armenia, Paloma López, Araceli Molina, Caroline Pastor, du guitariste et de la chanteuse Ana Brenes, Rubén Molina livre une performance d'une intensité rare. La critique salue "un spectacle éblouissant où les codes du flamenco sont revisités avec audace et force", relevant "des rythmes frappés qui envahissent, étourdissent, emportent". Deux représentations exceptionnelles de La Salida sont prévues le 25 novembre 2025 à la Scala Paris à 19 h et 21 h.

* Dolores, le destin tragique d'un résistant flamenco.

Depuis le 29 août 2025, Rubén Molina se produit au Théâtre Actuel La Bruyère dans Dolores, pièce écrite par Stéphane Laporte et Yann Guillon, dans une mise en scène de Virginie Lemoine. Créée à Avignon en 2023, cette fresque historique raconte l'histoire vraie de Sylvin et Maria Rubinstein, jumeaux danseurs de flamenco d'origine polonaise et de confession juive. Dans les années 1930, sous les noms d'Imperio et Dolorès, ils enflamment les cabarets du monde entier avec leur numéro phénoménal. Mais la montée du nazisme brise leur ascension. Hanté par la disparition de sa sœur déportée, Sylvin devient un résistant enragé.

Dans ce spectacle de théâtre musical, Rubén Molina partage le plateau avec Olivier Sitruk (en alternance avec Adrien Melin), François Feroleto, Joséphine Thoby, la danseuse Sharon Sultan, le chanteur Cristo Cortes et le musicien Dani Barba. Les chorégraphies, signées Marjorie Ascione en collaboration avec Sharon Sultan et Rubén Molina, ancrent le récit dans la puissance du flamenco, art qui devient ici métaphore de la résistance. Ce moment théâtral exceptionnel est porté par une histoire qui résonne douloureusement avec l'actualité. Il se joue jusqu'au 31 décembre 2025.

* Un langage personnel au service de l'universel.

"Le flamenco est ma colonne vertébrale, mais il dialogue en permanence avec d'autres disciplines comme le théâtre, la danse contemporaine, le jazz. Aujourd'hui, c'est un langage personnel", explique Rubén Molina. Cette recherche d'hybridation, loin de diluer la tradition, la revitalise. Façonné par ses rencontres avec José Granero, Franco Zeffirelli, Blanca Li ou Daniel San Pedro (avec qui il crée Andando Lorca 1936 aux Bouffes du Nord aux côtés de Camélia Jordana), l'artiste cultive une approche expérimentale tout en restant fidèle à ses racines andalouses.
À travers l'Institut Flamenco Paris, qu'il a fondé il y a plus de dix ans, il transmet "une pédagogie qui part de la scène, du vivant". Enseigner avec rigueur tout en privilégiant l'écoute, l'émotion et le souffle : telle est sa méthode. Parallèlement, il mûrit un projet de film documentaire ancré en Andalousie, terrain de ses premières émotions. "Ce que je cherche, c'est simple : créer des atmosphères où l'on peut traverser ensemble, artistes et public. Respirer. Se sentir vivant."
Corps en mouvement, cœur en partage : Rubén Molina incarne cette génération d'artistes qui refusent les frontières entre les disciplines et font du flamenco un art vivant, ouvert sur le monde, capable d'embrasser toutes les blessures et toutes les célébrations de l'existence humaine.
Paru le 23/10/2025

(69 notes)
DOLORES
THÉÂTRE ACTUEL / LA BRUYÈRE
Jusqu'au mercredi 31 décembre

COMÉDIE DRAMATIQUE. La tourmente de l’Histoire transforme parfois les quidams en héros. Sylvin Rubinstein, qui n’attendait de la vie que de danser le flamenco avec sa sœur jumelle Maria, entre dans la résistance contre les nazis. Après plusieurs mois dans le ghetto de Varsovie, il s’allie à Kurt Werner, officier de l...

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