Il aurait pu, à la manière d'un documentariste, nous livrer une pièce Ken Loachisée, suivre le parcours d'un ouvrier ou d'un patron. Mais l'idée - ô combien judicieuse - d'introduire un anti-héros, un détenu en réinsertion un brin "Chaplinesque", lui offrir son moment de gloire Warholien, a germé et en nourrissant l'intrigue d'une foultitude de quiproquos, "Made in France" est devenue une comédie politique, d'ailleurs régulièrement suivie d'un débat. Ce détenu en question, incarcéré pour surendettement, rêvait d'une sortie rapide pour bonne conduite, n'avait qu'une chose en tête : retrouver sa femme et sa fille. Las ! Les fées qui se sont penchées sur son berceau ont dû avoir un lumbago car, à peine arrivé dans l'usine, elle ferme, on délocalise, il se retrouve malgré lui porte-parole de l'actionnaire puis délégué syndical, prêt à sauver... sa peau et, le cas échéant, l'usine et le pays. Avec une candeur à la Keaton aussi émouvante que drôle, il va devoir se battre, débattre, épouser toutes les opinions à un rythme qui ne permet aucun répit... Mais il fait face, pantin désarticulé et malmené, victime des puissants, tous aussi cyniques, qu'ils soient repreneurs ou politiques. Comme chantait Brel "Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens -là..."
Pour que le message citoyen passe, Samuel et Paul-Eloi ont mis les gros moyens : les punchlines fusent, tout comédien est "pluriel", autrement dit il embrasse plusieurs rôles et ce, à une vitesse époustouflante. C'est virevoltant, comme cette batterie montée sur un podium, qui marque le temps et que les comédiens font tournoyer ou ces panneaux noirs mobiles qui, tour à tour s'ouvrent, se ferment, comme les portes de la prison ou de l'usine. C'est puissant, c'est rock'n'roll. Peut-être pour signifie qu'il y a urgence, urgence à sauver le monde, urgence à ne pas se taire, à ne pas subir, à être acteur de son destin. "Made in France", c'est un théâtre de l'absurde populaire, engagé, ouvert à tous, compréhensible par tous, il est d'une redoutable efficacité. Ce pourrait être un vaudeville à la sauce "Pulp Fiction" car c'est joyeux et violent à la fois, un peu caricatural aussi mais au moins tout le monde en prend pour son grade, du repreneur à la classe politique en passant par les syndicalistes. Entre éléments de langage, changements d'identité, petites et grandes trahisons, retournements d'alliance, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget ont su décrypter avec humour le cynisme du capitalisme, les mécanismes du profit, ils sont des lanceurs d'alerte à suivre mais à rire autant, les spectateurs ont-ils entendu le message ? Voire...