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D.R.
Zoom par Patrick Adler
Ma vie en biais
La Flèche

Pas besoin d'avoir un DEA de sociologie pour réfléchir sur la marginalité, ces parcours erratiques des sans-grades que la société crée. Il suffit juste de découvrir "Ma vie en biais" de Tatiana Gousseff qui, à l'instar d'un Ken Loach, décrit sans filtre le parcours initiatique d'une jeune femme pleine de rêves en proie aux affres de l'ubérisation, la précarité. On comprend vite qu'avec cette énergie du désespoir, cet humour cinglant, la résilience soit en marche avec cette victoire étincelante au bout qui lui permet de regarder la vie en face et plus... de biais. Magistral !
"Je suis biaiseuse chez Paquin", chantait Marie-Paule Belle, donnant ainsi après le "regard oblique" de feu Brassens, un éclairage appuyé à ce différent angle de vue. Frontale, Tatiana Gousseff assume d'être un poids au sens plein du mot. Elle le dit d'ailleurs, elle a pesé lourd, a beaucoup emmagasiné. Aujourd'hui libérée-délivrée, c'est un trop-plein d'émotions qui jaillit devant nous, sans filtre et sans amertume. Ca déborde de partout mais c'est jouissif, ça éclabousse, ça remue, ça donne à réfléchir mais la salle en redemande. Dans un inventaire à la Prévert, elle déballe sa vie d'avant, ses 64 petits boulots ingrats, avec son lot d'humiliations, ses peines, le sentiment de reproduire encore et toujours le même schéma, d'être dans "la loose". Le ton n'est en rien pleurnichard, elle n'est pas du genre à vouloir faire pleurer Margot dans les chaumières, elle assume tout avec drôlerie et panache. Elle dédramatise par le rire, comme si elle était devenue spectatrice et commentatrice de "sa vie d'avant". Les coups ont plu, elle a beaucoup encaissé mais elle a le cuir tanné et l'ironie comme bouclier avec - cerise sur le gâteau - cette humanité profonde pour ses semblables, celles avec qui elle a longtemps galéré. Elle est tombée souvent mais s'est toujours relevée. Elle a le pied marin, elle a affronté toutes les tempêtes mais conduit sa barque à bon port, en recueillant au passage des matelots comme Géraldine, la transgenre ou Alex, l'instructeur du stage de survie au Canada. Ces gens-là ont été des modèles. Tatiana n'aime rien tant que la vie, qu'elle croque à pleines dents. Avec son 65è petit boulot, elle s'est offert non plus un CDD mais un CDI. Elle est comédienne, une immense comédienne. Ayant acquis ce Graal, elle peut se regarder en face. Elle est devenue l'héroïne de sa vie. Sa maîtrise du jeu et de l'espace est juste époustouflante. Saluons au passage la direction d'acteur - au cordeau - de Claire Jaz, la brillante Baker de "Jean-Claude & Joséphine" toujours sur scène au Passy. Avec trois fois rien - un caisson fourre-tout qui devient chaise, une besace qui renferme deux ou trois accessoires - Tatiana mime toutes les situations. Elle campe aussi bien la serveuse par - 10º dans un vodka-bar que la standardiste dans un bordel interdit. La salle se régale, qui n'en perd pas une miette et savoure chaque instant de la vie de cette femme-clown de haut vol dans cette parenthèse "mélan-comique" ! Tatiana a gagné en estime de soi. Tatiana sait qu'elle est une belle personne, une belle âme. Tatiana est belle. Elle est une héroïne et son "Ma vie en biais"... un petit chef-d'œuvre !
Paru le 14/10/2025

(1 notes)
MA VIE EN BIAIS
THÉÂTRE LA FLÈCHE
Jusqu'au samedi 13 décembre

SEUL(E) EN SCÈNE à partir de 14 ans. Être une vraie héroïne, c’était le projet de sa vie. Mais de clown à bookeuse dans une maison close, Tatiana a décroché (et perdu) 64 petits boulots ! À l’heure de l’ubérisation et des bull-shit jobs, comment ajuster notre vie rêvée au monde du travail ?

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