Connexion : Adhérent - Invité - Partenaire

© Vahid Amanpour
Zoom par Patrick Adler
Vous n’aurez pas ma haine
au Théâtre Actuel / La Bruyère

De la publication d'une lettre sur Facebook, devenue virale, Antoine Leiris a commis un livre émouvant, au titre inattendu : "Vous n'aurez pas ma haine". Puissant et réparateur, il interroge chacun de nous sur l'attitude à adopter face à un tel cataclysme. Son livre-témoignage est aujourd'hui repris dans son intégralité sur scène avec l'éclairage puissant du metteur en scène Olivier Desbordes qui dirige un comédien... solaire : Mickaël Winum.
Après "Caspar" à La Manufacture des Abbesses, pépite que nous avions encensée à l'époque, Mickaêl Winum retrouve Olivier Desbordes dans un exercice théâtral périlleux car il leur faut à la fois respecter le texte, le ton, et éviter le pathos ce qui, au vu des événements, ne s'annonce pas simple. Mais c'est oublier que ce "Vous n'aurez pas ma haine" est lumineux. Il est avant tout une ode à la vie, un devoir de reconstruction, un gage d'espoir. Le père - qu'incarne Mickaël Winum - peut baisser les bras, déprimer, il a face à lui Melvil, ce petit témoin vivant, lumineux lui aussi, qui l'attend, qui peut-être attend tout de lui. Melvil, un bambin d'à peine deux ans qui ne comprend peut-être pas tout mais qui ressent instinctivement les choses et fait désormais corps avec son père. Le théâtre opère cette catharsis : de son expérience personnelle, Leiris en a fait un combat universel, celui d'un "père et d'un fils qui s'élèvent seuls" (sic). Mickaël Winum, par sa voix grave et chaude, sait avec bonheur prendre la lumière, il irradie, aimante. La salle retient son souffle. On ne voit pas le temps passer. On suit l'histoire sans jamais décrocher. Magnétisme, quand tu nous tiens...

Dans tous les souvenirs convoqués qui, pêle-mêle, viennent bousculer le quotidien d'un papa souvent malhabile mais empli de tendresse, on passe d'une émotion à l'autre. Parfois même, on se surprend à sourire, voire à rire aux espiègleries du bambin qui renverse la soupe, mordille la main dans le bain ou saute dans les flaques d'eau, à la déferlante des "mamans Tupperware" qui, par compassion, jouent les mères de substitution. Il arrive qu'une larme vienne glisser sur nos joues quand il évoque sa femme, l'amour incommensurable qu'il lui porte. Le drame est tout juste évoqué, pas de détails sordides. La pudeur et le respect sont de mise. Et puis... Il est des non-dits et des silences qui en disent davantage, tout comme l'attente, "un sentiment qui n'a pas de nom" selon Leiris. Mickaël se consume avec les mots, donne tout, variant le jeu par une gestuelle "caoutchouc" (tantôt assis, tantôt couché, à genoux), il joue toutes les étapes de la nouvelle vie du père, ne cédant pas à l'émotion, jonglant avec le factuel (les couches, les bains de Melvil et même la gestion administrative de l'enterrement) et les souvenirs, le parfum de sa femme, la variété des robes et des chaussures. Il compose, il doit composer, c'est désormais son lot quotidien. De l'enfer de la tragédie, il s'offre un chemin réparateur bordé de lucioles qui l'éclairent et annoncent des lendemains plus heureux, plus radieux.

Mickaël a gardé cette lumière dans le regard et ce large sourire généreux si propices à la résilience. Précis dans ses gestes comme dans son ton et la gestion de ses silences, il est à l'image de ce père meurtri : sobre et digne. La musique de Moone l'accompagne de bout en bout avec subtilité et la partition "lumières" de Simon Lericq - un travail d'orfèvre, assurément ! - parachève ce brillant moment de théâtre que, tant dans la direction d'acteur que dans l'adaptation et la conception scénique du récit, le metteur en scène Olivier Desbordes a su magnifier avec une précision d'horloger et une rare élégance.
Non, ce spectacle n'est pas triste, même si, quelque part, au vu des événements, il peut s'apparenter à un devoir de mémoire. Mais il est lumineux, esthétique et porteur d'espoir. D'ailleurs, pour Antoine Leiris et Melvil, les choses sont claires et ils le disent bien : "Nous sommes trois, nous serons toujours trois".
A méditer. Le public, lui, est déjà conquis. Il vient de vivre un grand moment de théâtre !
Paru le 01/10/2025

(2 notes)
VOUS N'AUREZ PAS MA HAINE
THÉÂTRE ACTUEL / LA BRUYÈRE
Jusqu'au mardi 30 décembre

SEUL(E) EN SCÈNE. Le Bataclan, 13 novembre 2015. Hélène, la femme d’Antoine Leiris et maman de leur petit garçon, meurt sous les balles des terroristes. Malgré le drame, pour leur fils Melvil, il doit continuer à vivre... Alors il écrit. Trois jours après l’attentat, il publie sur Facebook une lettre "Vous n’aurez ...

Voir tous les détails