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D.R.
Zoom par Antoine Fernandez
Frangines - On ne parlera pas de la guerre d'Algérie
au Théâtre de Belleville.

Déjà 5 minutes que le spectacle a commencé et on se dit qu'elle est belle, Fatima. La beauté noble des choses invisibles qui font la vie, elle nous la racontera ensuite avec les mots de Fanny. C'est d'ailleurs l'intention du spectacle : "Aller vers la beauté". Mais avant d'en parler, elle l'incarne. Et nous sommes happés, enveloppés, par ce qu'elle est, ce qu'elle dit, qui dépasse rapidement la vie de deux frangines. C'est bien plus profond, si on sait le voir.
C'est l'histoire de deux femmes qui veulent écrire et dire. Quoi ? Écrire le silence, dire la femme. Deux frangines de coeur décident de se parler d'un passé familial qui les lie. Toutes les deux sont héritières - maudites - d'une guerre, d'un silence. Elles se sont connues à 18 et 22 ans et, trois décennies plus tard, elles se révèlent enfin, l'une à l'autre, et aussi à elles-mêmes, ce passé jamais évoqué jusqu'alors.
Dans ce seul en scène, elles sont en réalité deux à parler, à se raconter, à nous raconter. L'une, Fanny Mentré, française dont le père a fait la guerre en Algérie, est les mots, autrice d'un texte prodigieusement universel et précis ; l'autre, Fatima Soualhia Manet, algérienne élevée en France, est le corps, elle donne chair aux deux frangines avec justesse et - grande - noblesse. Une alchimie qui tend à la fusion : Fanny voulait écrire un texte sur leurs histoires, Fatima ne voulait pas parler en "je". Alors ce fut "nous" et un "nous" qui embrasse toutes les femmes, toutes les frangines, depuis toujours.
Ellipse, fin du spectacle. Le titre est honnête, on n'a pas parlé de la guerre d'Algérie, ou très peu. Parler de la guerre, c'est parler des hommes et de leurs éternelles querelles destructrices. Fanny et Fatima mettent en lumière, comme peu ont su le faire, le tissu invisible et indestructible qui préserve l'humanité du pire depuis la nuit des temps : la femme.
"L'amour, c'est vouloir la liberté de l'autre." scandent les frangines. Et qui aime sinon les femmes, toujours plus enclines à laisser libres ceux qu'elles aiment, parce qu'elles aiment ?

Le théâtre de Belleville, avec "Frangines - On ne parlera pas de la guerre d'Algérie" et "Maintenant je n'écris plus qu'en Français", compose un diptyque théâtral bouleversant. On ne peut que vous conseiller de découvrir ces deux seuls en scène qui parlent si bien de l'être humain dans la perspective de la guerre et de l'exil. Viktor Kirilov, jeune ukrainien de 23 ans, est au coeur des tempêtes que produisent ces évènements quand Fatima Soualhia Manet et Fanny Mentré posent un regard plus lointain dans le temps et l'espace, fécondé par le recul de la maturité, de l'expérience et des leçons tirées.
"Est-ce que tu crois qu'on a été un début de changement de regard pour quelqu'un ?" se demandent les Frangines. Si les yeux sont assez ouverts pour bien voir, la réponse est oui.
Paru le 12/09/2025

(4 notes)
FRANGINES - ON NE PARLERA PAS DE LA GUERRE D'ALGÉRIE
THÉÂTRE DE BELLEVILLE
Jusqu'au dimanche 30 novembre

SEUL(E) EN SCÈNE à partir de 14 ans. Seule en scène, Fatima Soualhia Manet incarne deux vies : la sienne et celle de sa "frangine", l’autrice Fanny Mentré. Nées de parents algériens pour l’une, français pour l’autre, elles ne sont pas du même sang, se sont choisies. Comment fuir le chaos et la violence des héritages, pour se construi...

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