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D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
Gauguin-Van Gogh
Aux Gémeaux Avignon

"Les histoires d'amour finissent mal, en général" chantaient les Rita Mitsouko. Quid des histoires d'amitié ? Dans ce face à face entre deux peintres de génie, campés de main de maître par l'incontournable du Off William Mesguich et son excellent complice Alexandre Cattez, la tension est palpable. Elle est vive, intense. Les mots claquent. Le film de ces neuf semaines de cohabitation défile devant nous. Moteur ! Une oreille tombe. Coupez !
Quand Gauguin rejoint Van Gogh à Arles dans la "Maison Jaune", ce sont deux univers, deux visions de la peinture qui s'entrechoquent. Si le grand voyageur qu'est Gauguin privilégie l'imagination comme source d'inspiration, Van Gogh, lui, ne peut créer que "in situ", dans la nature. Quand l'un prend tout son temps, l'autre vit la frénésie de l'instant. Au débit saccadé, à la logorrhée verbale du peintre des "Tournesols" qui rêve d'une maison d'artistes et magnifie l'amitié - par peur de la solitude ? - au point de déifier Gauguin qu'il admire jusqu'à le déboulonner de son piédestal quand il se sentira moins aimé, ce dernier oppose une liberté de ton et des projets de vie très différents. Il faut reconnaître qu'ils sont en tous points dissemblables, même si, par mimétisme amical, Van Gogh accepte de se faire entraîner au bordel et de manger au restaurant, lui qui n'a pas de vie amoureuse et se nourrit de peu. Gauguin, sur l'échiquier de la peinture, apparaît comme le cavalier, voire le roi quand Van Gogh est, de toute évidence, le fou.
Ses rapports névrotiques à l'autre, sa passion dévorante et son insécurité permanente ont tôt fait de l'entrainer sur le chemin de la paranoïa : il est celui qui n'aurait pas dû venir au monde, l'ersatz d'une fausse couche, il est roux comme le Diable, artiste maudit de surcroit puisqu'il est à la solde de son frère Théo qui, lui, vend des œuvres d'art et notamment celles de Gauguin. D'ailleurs, l'invitation que ce dernier a acceptée en venant s'installer à Arles était fondée. Gauguin entendait bien faire fructifier ses affaires. Ce jouisseur, grand amateur de femmes - il finira syphilitique - aussi productif en ébats qu'en peinture ne pouvait tenir plus de neuf semaines dans cette cohabitation malheureuse - un véritable ratage où la saine émulation de départ finit en pugilat. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard s'il avait au départ imposé le voussoiement à Van Gogh, manière de marquer la distance avec ce carencé affectif qui ne pouvait, évidemment, s'en accorder. Leur estime et admiration communes, avec cette confrontation d'idées passionnante - comment se réinventer après l'Impressionnisme ? -, en permettant à l'un d'avancer, a accentué le gap professionnel entre les deux. Se sentant délaissé, diminué, méprisé, Van Gogh s'est victimisé outrageusement. Ne voulant plus rien entendre... vous connaissez la suite.
C'est cash, parfois âpre mais beau comme leurs toiles. C'est une histoire d'hommes qui, comme une histoire d'amour, connait les désaccords, les mots qui blessent, la rupture. Les mots sonnent juste et fort grâce à l'expertise de David Haziot et aux mots de Cliff Paillé qui a insufflé à William Mesguisch la fougue, la désespérance par ce flux verbal torrentiel, cette nervosité maladive et a offert à Alexandre Cattiez un sur-mesure à la hauteur de son talent. Il est un Gauguin rustaud, autoritaire, brutal, jouisseur à souhait avec cette confiance en soi presque insolente qui le mènera à la gloire.

Ce "Gauguin-Van Gogh" s'appuie sur une partition parfaite, orchestrée par Noémie Alzieu et Cliff Paillé pour deux virtuoses de la scène. On apprend beaucoup de cette parenthèse malheureuse, on s'émeut et on aime rien tant qu'à se perdre dans ce décor somptueux, magnifié par les lumières de Yannick Prévost.
Encore une pépite des Gémeaux ! Quel beau festival !
Paru le 21/07/2025
GAUGUIN - VAN GOGH
AVIGNON - GÉMEAUX
Du samedi 5 juillet au dimanche 27 juillet 2025

THÉÂTRE CONTEMPORAIN à partir de 10 ans. Le 23 décembre 1888 s'achève, en Provence, la colocation la plus fébrile de l'histoire de l'art. Celle qui, pendant huit semaines, a vu Gauguin partager la maison de Van Gogh. De sourires en désaccords, en plein air puis en atelier, de tableaux en tableaux, une relation se tisse, cherchant son jus...

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