Spécial Avignon par Patrick Adler
Rossignol à la langue pourrie
Au Balcon
Avec Agathe Quelquejay, les mots chantent et les corps dansent. Elle a découvert très jeune le poète montmartrois Jehan Rictus (de son vrai nom Gabriel Randon), ce poète des invisibles, des sans- grade, des anonymes. La beauté de sa novlangue triviale, argotique, déstructurée et parfois même incompréhensible l'a émue et l'a enjoint, quelques années après, à monter autour de six poèmes un spectacle époustouflant de poésie où la misère devient esthétique. Pur chef-d'œuvre !
Tout est fluide et beau dans cette galerie de portraits dignes de « Affreux, sales et méchants ». Du poivrot à la pute, de l'enfant battu au petit délinquant, de la fille séduite à la gamine pieuse et la mère jaseuse, tous ont cette langue crue et violente et symbolisent cette industrialisation en marche qui laisse sur le bas-côté ceux qu'on appellera avec morgue les Barbares , puis les Apaches. Et ils sont légion dans les rues et les faubourgs de Paris. Et pourtant...A voir ces sublimes tableaux, cette mise en scène très étudiée de Guy -Pierre Couleau, d'un esthétisme sans nom, on ne peut s'empêcher d'y voir l'influence des peintres italiens de la Renaissance comme Le Caravage. Quand la misère est belle... oxymore ?! Sur le plateau épuré, quelques bougies allumées, des habits qui jonchent le sol, à peine perceptibles dans le clair-obscur. Même froissés, même devenus oripeaux comme dans les chorégraphies d'un Peter Goss, ils sont beaux. Malgré la misère et l'effroi, malgré la violence et les espoirs vains, vous ne verrez pas la moindre trace de misérabilisme. Ici, tout est élégance, jusqu'aux chorégraphies qui offrent une respiration entre deux séquences. Agathe Quelquejay est une femme caoutchouc qui se meut avec agilité dans tous les personnages, féminins comme masculins, dans un jeu et une gestuelle expressionniste très marqués. Gracile et androgyne, elle se fond en eux, elle dit leur ressenti, la violence subie, l'injustice, la peine. Elle est violence et passion, tendresse et poésie, puissante jusque dans leurs silences. Elle est juste époustouflante car elle conjugue deux langages : celui des mots et celui du corps. Le public, chaque jour, salue la performance par une longue standing-ovation.
Pour reprendre l'expression consacrée de feue Marguerite Duras, nous nous contenterons de conclure par ces mots qui résument cette pépite avec un Grand P : « Sublime, forcément sublime ! »
Pour reprendre l'expression consacrée de feue Marguerite Duras, nous nous contenterons de conclure par ces mots qui résument cette pépite avec un Grand P : « Sublime, forcément sublime ! »
Plus d'informations : www.festivaloffavignon.com/spectacles/5836-rossignol-la-langue-pourrie
Paru le 14/07/2025





