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D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
Je n’ai pas lu Foucault
À la Factory-Teinturiers

Et si l'Art s'immisçait dans ce qu'il est convenu d'appeler "La Justice Réparatrice" ? C'est le pari tenu par Céline Caussimon, comédienne, en créant ses ateliers d'écriture sur la peinture. Si elle assume ne pas avoir lu Foucault et son "Surveiller et punir" qui fait référence, elle réussit avec brio à désinvisibiliser les détenus, à leur donner la parole. Leur approche des tableaux agit comme un instantané et fait sens. Captivant !
Comme elle n'aime rien tant que transmettre - n'est-ce pas en soi l'ADN du comédien ? - elle a choisi, un jour, entre deux tournées, d'explorer le milieu carcéral. À la fermeture glaçante des portiques, au bruit des clefs lourdes qui s'introduisent dans les cellules, des portes qui se claquent violemment, elle oppose de la vie sur les murs ou sur un écran, la projection de tableaux de maîtres, la douceur des mots, et l'écoute des ressentis. Elle apporte avec sa bonne humeur, sa vivacité et sa bienveillance de la vie dans un mode clos. Elle pousse les murs, renverse la table et les dogmes, change la doctrine. Le temps d'un atelier. Et, ce faisant, le groupe s'anime. Comme quoi... L'art peut être salvateur, créer du lien. Alors, dans cette immersion assumée, sans peur et sans jugement aucuns, elle écoute, avec humilité. Il y a, bien sûr, des ratés (un détenu associe "L'homme contemplant la mer de brumes" de C. D. Friedrich au chanteur Ed Sheeran parce qu'il est roux, un autre, vexé d'avoir répondu à côté, quitte la salle, une rixe éclate...), elle n'a pas tous les codes mais elle ne joue pas à l'experte - qu'elle n'est pas, d'ailleurs -, elle est juste la documentariste d'un instant volé, la confidente de quelques heures.
Loin des cours ex-cathedra des universitaires, elle interroge et surtout écoute car est-il besoin, au fond, d'avoir une culture académique pour apprécier une œuvre picturale ? Et d'ailleurs, leur approche des tableaux ne nous interroge-t-il pas ? D'aucuns se sont arrêtés sur un détail - une poule qui a perdu son chemin, l'Afrique et l'Amérique Latine rassemblées chez Basquiat (et c'est juste !). Et puis, en filigrane, il y a chez eux tous ces mots (maux ?) qui font sens : amour, solitude, violence. Tout résonne chez elle. Chez nous aussi car nous sommes spectateurs de cet échange riche, voire passionnant. Il y a beaucoup à apprendre de ces "invisibles" et gloire soit rendue à la merveilleuse Céline Caussimon qui, avec son sens inné de la maïeutique, a réussi à tirer la substantifique moelle de certain(e)s. Et si Cézanne n'était au départ qu'une rue ou le nom d'un lycée pour un détenu, se dire qu'il l'associe désormais au peintre est déjà un pari gagné. Elle dit avoir l'impression d'être dans l'instant face à l'autre. Comme au théâtre !

Il est de ces moments inattendus, qu'on pressentait mâtinés de sérieux - au vu du titre - où l'on ressort plus léger. Cette immersion humaine, profondément humaine dans un monde que nous ne connaissons pas forcément, ouvre le champ des possibles. Et nous enjoint à garder espoir en l'homme, en la vie. Vive la peinture, vive le théâtre, vive l'art qui réconcilie et apaise !
Peu importe que vous ayez lu Foucault ou non, courez découvrir cette pépite. Vous en apprendrez davantage !
Plus d'informations : www.la-factory.org/
Paru le 11/07/2025