Il vient de sortir de scène et déjà des dizaines de spectateurs l'attendent, les yeux embués de larmes. Il a une fois encore ému, fait vibrer tous ces cœurs qui, reconnaissants, lui adressent louanges et remerciements. Humble et souriant malgré la fatigue générée par son incroyable performance, il écoute, prend son temps car tout l'intéresse. Il aime ce public à qui il dit tout devoir mais à qui il donne tout, à chaque représentation. Pourtant fatigué, vous le voyez léger, presque aérien. C'est vrai qu'il semble planer, avec cet éternel sourire aux lèvres, cet œil rieur. Et pourtant... Que d'efforts déployés dans cette épopée qu'il vient de délivrer, nous tenant en haleine jusque dans ses ruptures, ses silences, un art qu'il maîtrise à la perfection. Comme chez Diderot dans "Le neveu de Rameau", ou "Le Paradoxe du comédien", si tout apparait aisé, voire naturel dans l'exercice artistique, dans le jeu, c'est oublier que ce résultat est le fruit d'années de travail.
Car Franck Desmedt est de la race de ces compagnons du Devoir qui après des mois, voire des années, d'apprentissage, délivrent leur "chef-d'œuvre" (c'est là l'origine du mot). Ce bourreau de travail sait que le Diable se niche dans les détails, alors il creuse, ne laisse rien passer. Servi par la prose magnifique de Mathieu Rannou, aidé à la mise en scène par l'œil aguerri de Benoit Lavigne (qui a signé celle du "Guerre" de Céline, que nous avons encensé), il atteint la précision d'une horloge Suisse dans son exercice, avec ce sens inné de la prosodie et de la métrique. Sa gestion du rythme, ses variations de jeu sont phénoménales. Il peut être irrésistiblement drôle en Consuelo ou en Clark Gable comme il peut nous émouvoir aux larmes en évoquant ses compagnons de vol disparus. C'est ainsi qu'il est devenu pour ses pairs comme pour le public un Stradivarius. Ce virtuose du seul-en-scène vous emmène où il veut puisqu'il sait tout jouer. Avec lui, l'imaginaire est en marche. Le plateau est presque nu - une chaise et l'avant de l'avion sur lequel il grimpe, saisit un téléphone - alors il gère tout, aidé par une bande-son et des éclairages somptueux qui le font passer d'un cabaret au désert Mauritanien, du froid au chaud, de la guerre à sa chambre et là, avec la magie du verbe et la variété de ses voix imitées, ce sont dix, vingt personnages et autant de situations qui apparaissent avec, en filigrane, des réflexions sur la vie qui font sens. Oui, il y a une parentèle évidente entre le pilote-écrivain et celui qui l'incarne si bien. Tous deux sont "habités", ont cette soif d'absolu, ce respect du devoir à accomplir. Tous deux sont de "drôles d'oiseaux" !

L'Académie Française s'honorerait à trouver quelques néologismes pour qualifier cet acteur d'exception qui, au gré des superlatifs utilisés par la presse pour l'encenser sont encore loin de la vérité de l'homme. Face à tant de talent, de magnétisme, les mots nous manquent. Chapeau, Monsieur Desmedt !