Dossier par Jeanne Hoffstetter
Daniel et William Mesguich
au théâtre des Gémeaux Parisiens
« L'entretien de M.Descartes avec M.Pascal le jeune ». Un spectacle applaudi sans réserve depuis qu'en 2007 le père et le fils incarnent ce face à face entre les deux philosophes. Si de cet entretien bien réel rien n'a jamais filtré, Jean-Claude Brisville en a imaginé la teneur.
Daniel Mesguich est Descartes
A la tête d'une riche et brillante carrière que d'aucuns connaissent bien, Daniel Mesguich fonde sa propre école à Paris en 2017. « Au départ, Jean-Claude Brisville avait écrit cette conversation pour Henri Virlogeux puis, avec Jean-Pierre Miquel qui était le directeur du Conservatoire où j'étais moi-même professeur, ils ont pensé que je pouvais jouer Pascal, ce que j'ai fait. Ça a été un gros succès. Plus tard mon fils me téléphone et me dit : "Papa, est-ce que tu crois que le rôle de Pascal m'irait bien ?" Mais oui, il t'irait très bien ! Alors rassuré, il me demande si je ne voudrais pas jouer Descartes, et voilà comment ça s'est fait ! Ça a été la même chose plus tard pour "Le Souper" *, il voulait que je joue Talleyrand et lui Fouché. Et c'est un grand bonheur que de jouer ensemble, père et fils ! »
De l'imagination de Jean-Claude Brisville naquît cette non conversation passionnante. « Ça se passe quelques années avant la mort de chacun d'eux. Pascal n'a pas écrit grand-chose mais c'est un jeune mathématicien et un physicien qui travaille sur le vide. Descartes voulait avoir des éclaircissements sur ses travaux mais voilà qu'il tombe sur un os parce que Pascal vient de rencontrer les jansénistes et ne parle que de théologie. A l'époque, la philosophie et les mathématiques n'étaient pas étrangères l'une à l'autre. Les dialogues de Brisville sont étincelants sans perdre de vue le théâtre. Chacun a un enjeu; Descartes sent qu'il va mourir et veut absolument que Pascal soit son continuateur, alors que Pascal veut que le grand Descartes prenne fait et cause pour les jansénistes en signant une lettre qui sauverait le Grand Arnaud de la prison. Descartes dit non et Pascal refuse aussi. C'est tragique au fond. La force de Brisville est de faire des phrases tellement belles, précises, attachantes, que l'on comprend immédiatement les rapports entre les deux. »
Pascal et Descartes sur scène, Daniel et William dans la vie, un père, un fils...
« Oui il y a un rapport filial entre Pascal et Descartes dans cette pièce. Et lorsque je m'approche de William pour lui dire : Il n'y a que vous qui pourrez continuer ce que j'ai fait, etc. il y a dans l'œil de l'un et de l'autre un petit sourire... Le spectacle a évolué avec le temps. Aujourd'hui nous slalomons sur ce texte, nous nous amusons, ce que nous ne faisions pas au début. Pour moi il n'y a pas de théâtre sans littérature. Même du théâtre sans texte, il y en a toujours un invisible. »
Internet, Netflix, les nouvelles technologies mettent en péril le théâtre, dit-on.
« Je ne suis pas contre les nouvelles technologies, la vidéo, tout dépend l'usage qu'on en fait. Ce contre quoi il faut lutter c'est l'inculture, la bêtise. Le théâtre, c'est sa vie que d'être au bord de la mort, mais il renaît toujours de ses cendres ! »
William Mesguich est Pascal le jeune
En 1985, Daniel Mesguich était Pascal le jeune, face à Henri Virlogeux-Descartes, dans une mise en scène de Jean-Pierre Miquel. Vingt ans plus tard, William a une envie qu'il propose à son père... Il serait lui le jeune Pascal quand Daniel deviendrait Descartes. D'où est venu un tel désir ? « Il y a plusieurs raisons à ça. La première était sans doute le désir de me rapprocher de mon père. J'ai beaucoup joué sous sa direction, notamment de grands rôles comme Hamlet et Le Prince de Hombourg, alors j'ai eu envie de partager la scène avec lui parce que c'est un grand comédien que j'admire. C'était l'occasion rêvée d'être à ses côtés, proches dans les loges, dans les coulisses, sur le plateau. Le temps avait passé, il a été surpris puis il m'a dit : Pourquoi pas ? Allons-y pour l'aventure ! Depuis, on a dû jouer 450 fois à Paris et partout en France. »
Un défi intéressant que de mettre ses pas dans ceux de son père pour aborder ce rôle avec sa propre sensibilité, son propre point de vue, mêlé peut-être à sa propre expérience filiale... « Exactement, on a décidé que je ne le jouerais pas comme lui à l'époque, qui était un Pascal un peu glacial, radical. Alors de par ma nature j'ai proposé un Pascal plus fiévreux, plus maladif, plus frénétique, face à un Descartes expérimenté. Alors oui, c'était très intéressant de faire se mélanger le monde intime avec le monde de l'illusion et du théâtre. Il y a beaucoup de respect, d'amour et d'admiration entre nous, et aujourd'hui, après toutes ces représentations, on est tellement complices que l'on s'amuse et que j'en profite ! »
Vers des personnages plus complexes...
« Oui, oui et je commence les répétitions d'un Van Gogh face à Gauguin. Vous voyez je suis de nouveau dans quelque chose d'assez tourmenté. J'ai joué les amoureux, les jeunes premiers chez Marivaux, chez Molière... puis le temps a passé alors je suis allé vers des choses plus complexes, plus tourmentées... ça a commencé avec Pascal, puis Frédéric dans « Le prince travesti » de Marivaux, Antonin Artaud, un personnage extraordinaire qui m'a poussé très loin dans la composition, Richard III, où je suis totalement possédé, Joseph Fouché, qui n'était pas tendre avec Talleyrand *... Peut-être y a-t-il une part de moi assez sombre qui devait rejaillir parce que je suis romantique ? J'ai voulu expérimenter ça à travers cette grande machine à transformer, à rêver qu'est le théâtre. Je ne sais pas d'où ça vient, j'ai parfois envie de tenter des aventures un peu folles, pour montrer à quel point on peut être plusieurs soi-même. J'ai la passion chevillée au corps, voyez comme je parle, un peu vivement. J'ai envie d'insuffler de la joie, du bonheur en partageant les choses les plus belles, les plus intelligentes, les plus rares, celles qui nous enrichissent. Comme mon père et mes sœurs, j'ai un amour de la langue française qui est sublime et bien malmenée en ce moment par les réseaux sociaux, les hommes politiques, la télé... Face à toutes ces facilités de communication, il faut absolument la protéger. Voilà, j'aime apporter ma contribution, non pas en démocratisant le théâtre, un grand mot qui ne veut rien dire, mais simplement pour que les gens y trouvent du bonheur. »
* A voir aussi en ce moment, « Le souper » au théâtre des Gémeaux Parisiens
Paru le 25/11/2024
(19 notes) THÉÂTRE DES GEMEAUX PARISIENS Jusqu'au mardi 17 décembre
THÉÂTRE CONTEMPORAIN à partir de 10 ans. Le 24 septembre 1647, Les deux philosophes les plus célèbres de leur temps se sont rencontrés à huis clos au couvent des Minimes à Paris. Blaise Pascal, déjà très malade, n'avait alors que 24 ans, René Descartes, 51. De cet entretien historique, rien n'a filtré, sinon une ou deux courtes notes jet...
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