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D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
L’Espèce humaine
Avignon - 3 Soleils

Le seul livre écrit par Robert Antelme qui, à l'instar de Primo Levi, laisse une œuvre importante et pleine d'espoir, malgré la noirceur du sujet et du propos. Marguerite Duras, sa femme de 1939 à 1947, a souligné par le passé la grâce et la joie de cet homme.
Un simple faisceau lumineux éclaire une femme blonde, Elle est belle. Comme une photo sortie des studios Harcourt. Mais une photo animée. Car celle qui, plus d'une heure durant, va nous livrer un texte éprouvant, un « digest » de l'œuvre de 350 pages qu'elle a adapté pour la scène n'est autre que Anne Coutureau, comédienne, metteur en scène, enseignante. Une militante humaniste qui a l'exigence chevillée au corps.
Comment expliciter le paradoxe qui démontre l'équation improbable liant bourreau et victime dans le même ensemble « espèce humaine » ? Comment dire, décrire la parenthèse funeste du Nazisme et des Camps et en tirer une réflexion plus générale sur l'humanité. Sacrée gageure.
Elle, c'est une femme. Au mieux de sa forme. Qui incarne un homme. De trente kilos. Un zombie survivant, erratique, l'œil hagard mais dont la pensée et le verbe sont encore intacts. Elle dit je. Elle est lui. « Je est un autre », eût dit Rimbaud. Elle et lui ne font qu'un. Dans la douleur, dans l'effroi, dans l'horreur.

Les mots claquent dans la pénombre, elle est partiellement et magnifiquement éclairée mais on pourrait la suivre, l'écouter les yeux fermés tant le texte est puissant. La moindre description fait sens, on voit tout, on sent tout : la crasse, le froid, la faim et même les poux. Ils nous démangent autant que les cloportes nazis dans cette lente destruction des corps. Les cohortes de fantômes d'os défilent devant nos yeux. Le réel et l'irréel s'emboitent. L'objecteur de conscience, Karl l'instituteur, Jacques, ça nous parle. Comme résonne le mot « Musik » qui éclaire en une fraction de seconde la journée.
C'est glauque - forcément ! - malaisant mais, oserais-je le dire, essentiel et c'est porté avec une telle véracité, une telle justesse, une telle puissance par Anne Coutureau - merveilleusement dirigée par Patrice Le Cadre - que, comme elle, on ne saurait en sortir indemne.

Après une standing-ovation amplement méritée, elle s'est avancée vers nous et a conclu avec ces simples mots :

« Je n'ai pas d'annonce à vous faire. Juste...soyez heureux »

Merci, Madame !

Jusqu'au 29 Juillet à 17h35

Au Théâtre « Les 3 Soleils »
4, rue Buffon
84000. Avignon
Paru le 23/07/2023