Connexion : Adhérent - Invité - Partenaire

Christelle Reboul
D.R.
Dossier par Jeanne Hoffstetter
Avé Cesar
création au Théâtre Rive Gauche

Après vingt-cinq ans de mariage, trois enfants et le désir charnel mis à mal, Corinne n'entend plus accepter la situation. Prête à tout pour voir ce qui peut être sauvé de leur amour, elle entraîne son mari dans une chambre d'hôtel munie d'un guide sur l'art et la manière de retrouver le désir.

Éric Laugérias
adaptateur et metteur en scène


Vous lisez au moins quatre pièces par semaine. Pour quelles raisons avoir retenu aujourd'hui la pièce de Michèle Riml, canadienne de langue anglaise, dont le texte a depuis sa création en 2004, été adapté dans une vingtaine de pays ?
Outre qu'il soit formidable, il est écrit pour un duo et en ces temps difficiles pour les théâtres, c'est bienvenu. Malheureusement dans ce domaine, il n'y a pas que des chefs d'œuvre ! Quant au sujet, il traite d'une grande question: Est-ce que l'amour s'use avec le temps ?

Le choix des acteurs pour un tel texte est primordial. La rencontre avec l'auteur l'est-elle selon vous ?
En travaillant à l'adaptation, les noms de Christelle et Frédéric, que je connais bien, se sont imposés à moi. Il faut avoir du respect et de l'admiration pour les acteurs avec lesquels on travaille parce que ce travail implique beaucoup d'affect, d'envies, de peurs. Je ne voyais personne d'autre à leur place. J'ai correspondu avec l'auteure qui viendra pour la création. Mais de même que je ne suis pas certain que les poètes soient les mieux placés pour dire leurs textes, prenez Apollinaire ou Aragon par exemple, je ne pense pas que les auteurs soient les meilleurs conseillers concernant leurs pièces.

Un texte littéraire ne peut devenir œuvre théâtrale sans la chair des acteurs, sans un metteur en scène... Il leur appartient donc dès lors qu'ils le choisissent ?
Complètement. Selon moi, si l'auteur ne le met pas en scène lui-même, il doit se libérer totalement de son texte pour qu'il devienne œuvre théâtrale. Après, il y a des auteurs qui montent leurs pièces, Anouilh l'a souvent fait, ou des auteurs contemporains comme Pierre Notte, là, c'est autre chose.

Au-delà du questionnement sur l'amour dans le couple, celle-ci éclaire les relations homme-femme. Depuis sa création, elles ont, pour diverses raisons, changé. En avez-vous tenu compte dans votre adaptation ?
Non. Une œuvre est de son époque, elle raconte un moment T de notre civilisation. Si dans certains cas, elle peut nous sembler rétrograde, elle ne l'est que par rapport à notre regard d'aujourd'hui. Je trouve par exemple totalement anti-théâtre de vouloir faire dire aux « Femmes savantes » qu'elles sont «me too» ou quelque chose de ce genre. C'est tordre une œuvre qui est de son époque. Je pense qu'il faut jouer les pièces telles qu'elles sont écrites. On ne va pas répondre aux questions qu'elles posent à ce moment-là, par des réponses d'aujourd'hui. Pourquoi transformer « Le Médecin malgré lui » en pièce sur le racisme ? Ce n'était pas une question du temps de Molière. Monter les pièces avec les questions qu'elles posent sur la mentalité de l'époque nous apprend beaucoup sur notre évolution ou notre régression.

Concernant « Ave Cesar », si les dialogues paraissent simples, ils sont aussi très intimes comme l'est la situation... Cela engendre-t-il pour vous des difficultés particulières ?
Jouvet disait "Quand on a trouvé les bons interprètes, on a fait 80% du boulot". Pour jouer ce couple petit bourgeois dans une situation assez particulière, la difficulté était de trouver des acteurs justes, de parler un langage quotidien avec cette petite distance qui fait que cela devient des dialogues de théâtre. Christelle et Frédéric sont justes, naturels et sincères. Ils se tendent mutuellement un miroir et nous le tendent aussi. Le problème du miroir est que nous devons nous y reconnaître, là est la vraie difficulté.

Si l'on peut trouver la situation un peu pathétique, elle n'en n'est pas moins touchante et très drôle. Vous vous amusez beaucoup je suppose !
Oui, avec Julie d'Aleazzo qui est ma complice depuis longtemps, nous sommes quatre à nous amuser beaucoup de certains moments de gêne, car on se met un peu à poil quand même ! Pour moi l'acteur n'est jamais plus nu que lorsqu'il a à dire des choses intimes et puissantes. C'est le cas de ce couple qui s'aime et cherche le chemin pour se redonner la main. Christelle a une franchise, une sincérité totalement déconcertante et de l'humour, elle me fait beaucoup rire, tout comme Frédéric qui est une sorte de merveilleux clown triste.

Christelle Reboul
est Corinne


Du drame à la comédie, son talent et sa pertinence n'ont pas de frontières et dans le rôle de Corinne, elle ajoute encore une facette à son éventail. Une femme d'une cinquantaine d'années ne supportant plus le train-train qu'est devenu sa vie conjugale, joue quitte ou double en entraînant son mari dans une drôle d'aventure le temps d'un week-end. La comédienne dit avoir eu un véritable coup de cœur pour ce texte. « La lecture était si fluide que je l'ai lu d'un trait, signe que quelque chose se passe, ce qui n'est pas toujours le cas ! Par toutes ces petites choses souterraines que l'on devine, cette pièce m'a tenue en haleine jusqu'au bout. On y entre avec subtilité dans l'intimité, dans le mystère du couple. » Une manière de montrer que l'on se satisfait trop facilement, aujourd'hui encore, d'une vie de couple qui n'en est plus une ?

C'est surtout une comédie irrésistible et touchante qui concerne tout le monde, et dans laquelle le ridicule ne tue pas !

« Oui, je trouve qu'il y a une espèce d'hypocrisie dans notre société à propos du désir, de la sensualité, de la séduction. Comme si tout était acquis une fois que l'on est marié. Oui ! Ça existe encore, on est casé, on n'en parle plus, la sécurité prime... Ça peut se comprendre. Dans le cas présent, c'est Didier qui aime son confort et ne se pose pas de questions, contrairement à Corinne qui va jouer le tout pour le tout pour affronter les problèmes. Car c'est un couple qui s'aime encore. Mais la pièce pose aussi ce problème de la femme qui, devenue mère, devient maternante pour toute la famille, ce qui finit par casser le désir. Je trouve que l'on parle rarement de ça. Comme on parle peu de la pudeur que l'on peut avoir à se montrer lorsque le corps change, vieillit, lorsque les choses basculent doucement sans que l'on puisse vraiment le définir. L'auteure met le doigt sur tout ça de manière très intime. Si Corinne décide d'entraîner son mari dans un hôtel pour amoureux, munie d'un bouquin d'exercices explicites, c'est qu'elle veut donner une chance à son couple de retrouver le désir et l'amour. On commence juste les répétitions alors on creuse chaque propos sous-jacent, les jeux de pouvoir dans le couple, la mauvaise foi, la façon de faire passer un message à l'autre tout en ne le disant pas, la tension qui se créé peu à peu, les choses qui se figent on ne sait plus bien pourquoi, le dégoût physique abordé avec une pudeur très belle qui cache un véritable volcan. C'est une écriture iceberg sur laquelle on travaille qui peut nous faire penser à Duras, en fait. Mais c'est surtout une comédie irrésistible et touchante qui concerne tout le monde et dans laquelle le ridicule ne tue pas. On a vraiment hâte avec Frédéric de commencer ! »

Frédéric Bouraly
est Didier


J'ai la chance qu'on me propose pas mal de pièces dit-il, mais après avoir lu celle-ci je l'ai tout de suite mise en haut de la pile. « Avec Christelle, on est tombés instantanément fous de ce texte qui offre en plus une palette de jeu formidable aux acteurs. J'ai eu le plaisir de jouer Pinter et ça m'y a fait penser, on a l'impression que c'est du quotidien tout simple, mais si l'on creuse un peu on trouve très vite des sentiments très forts et beaucoup de non-dits. Christelle est un stradivarius, avec elle tout est possible, et on a la même nature, on travaille beaucoup, on aime la précision. » On est des chieurs ajoute-t-il en riant. « On aime tellement ce texte qu'on le savait déjà par cœur avant de commencer les répétitions ! Tous les acteurs rêvent de rôles comme ça. Et puis, c'est au théâtre Rive Gauche que j'aime beaucoup et que je vais retrouver avec plaisir. » Les questions que se pose un couple après vingt-cinq ans de mariage, un thème qui pourrait paraître banal, mais pour Corinne la façon dont elle tente d'y apporter une réponse l'est déjà moins, quant à l'attitude de Didier face aux initiatives de sa femme...

Avec un texte comme celui-là, on est à nu, on ne peut pas tricher

« Didier, absorbé par son métier, ne se rend pas compte que son couple ne va plus si bien que ça, mais lorsque Corinne organise ce week-end pour lui montrer la réalité, il accepte. Et là, sans tout dévoiler de ce que vous verrez, l'envie de bien faire les choses tout en les faisant mal pour essayer de retrouver le désir a quelque chose de pathétique qui touche et fait rire en même temps. Ce n'est pas la situation qui fait rire, mais leurs échanges verbaux maladroits, leurs pensées détournées, leur implication. Nos personnages font rire malgré eux. On n'est pas dans une comédie de boulevard avec portes qui claquent etc. bien que j'aime aussi les comédies de boulevard. Mais il est difficile de parler d'un personnage lorsqu'on est tellement dedans, il est plus facile de le faire quand on le voit de l'extérieur. Ce qui est sûr, c'est qu'avec un texte comme celui-là, on est à nu, on ne peut pas tricher. » Mais pourquoi « Ave César » ? « Alors ça, le public le découvrira, ça semble mystérieux, mais ça a tout son sens ! »
Paru le 14/02/2023

(49 notes)
AVÉ CÉSAR
THÉÂTRE RIVE-GAUCHE
Du mercredi 18 janvier au dimanche 16 juillet 2023

COMÉDIE à partir de 14 ans. Didier et Corinne, mariés depuis 25 ans, tentent de pimenter leur vie amoureuse endormie, et raviver leur romance, lors d’un week-end dans un hôtel chic et branché. Equipée d'un guide du "Sexe pour les nuls", loin de la maison, des enfants, du travail et de la routine quotidienne, Corinne espère s...

Voir tous les détails