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Johanna Boyé
© Nathalie Mazeas
Dossier par Philippe Escalier
Dossier spécial Rive Gauche

À la rentrée, le Théâtre Rive Gauche affiche deux mises en scène signées Johanna Boyé, « Les Filles aux mains jaunes » où l'on pourra applaudir la comédienne Brigitte Faure et « L'Invention de nos vies » présent dans le Off d'Avignon 2022, au Théâtre Actuel, avec Valentin de Carbonnières dans le rôle principal.
Johanna Boyé carbure aux coups de cœur

Elle transforme en succès toutes les pièces qu'elle aborde. Le Rive Gauche a décidé de mettre à l'honneur cette jeune metteuse en scène devenue en peu de temps la coqueluche du théâtre.

Très demandée, Johanna Boyé pourrait parfois donner l'impression, à Paris ou en Avignon, d'être partout à la fois. Simple illusion d'optique quand on sait qu'elle s'organise de sorte à ne jamais monter plusieurs pièces en même temps et qu'elle entend, durant la période de création, être entièrement dédiée à un seul et unique spectacle.

Avec l'adaptation de « L'Invention de nos vies » Johanna Boyé rajoute une corde à son arc, celle d'adaptatrice. Son coup de cœur pour le roman de Karine Tuil, elle le doit à Thibaut Houdinière qui lui a suggéré de le lire. « Je ne connaissais pas ce livre et j'ai été happée. Je l'ai lu quasiment d'une traite, je n'arrivais pas à le lâcher. La lecture achevée, je me suis dit que c'était inadaptable pour la scène, les lieux et les personnages étaient trop nombreux. Pourtant, j'ai gardé en tête l'histoire de la chute de cet homme après une superbe réussite sociale, elle me hantait. Entre temps, j'ai monté Arletty qui nous fait traverser un siècle entier avec de multiples personnages et ce spectacle m'a donné confiance : adapter «L'Invention de nos vies» au théâtre était possible ! J'ai entrepris des démarches, rencontrée Karine Tuil et en collaboration avec Leslie Menahem, co-adaptatrice, nous avons travaillé pendant un an et demi. Le véritable enjeu était de créer des scènes dialoguées pour éviter les successions de monologues tout en faisant un gros travail sur l'incarnation des personnages. La structure même du roman nous a aidé à la surmonter. L'autre difficulté résidait dans les choix cornéliens à faire tant cette histoire foisonnante pouvait donner lieu à plusieurs récits ».

L'autre pièce à l'affiche, « Les Filles aux mains jaunes » avait déjà été montée en 2016. Johanna Boyé et les comédiens arrivent à Avignon curieux de connaitre l'accueil que le public allait leur réserver mais convaincus de la portée du texte et du sujet, en particulier en pleine affaire Weinstein quand émerge Me Too. « Nous étions confiants, dés notre avant première au Théâtre Michel nous avions pu sentir à quel point le spectacle parlait aux gens, néanmoins l'accueil enthousiaste des festivaliers nous a surpris. Cette pièce qui parle de la puissance de la volonté, « notre force s'arrête où commence notre peur » a quelque chose d'un peu magique. Cet appel à mobiliser notre énergie pour réaliser nos rêves est très touchant. C'est toujours impressionnant quand les plus petits se lèvent et s'insurgent. Cela nous renvoie à nos propres existences » explique-t-elle.

Au bonheur d'avoir deux pièces à l'affiche, s'ajoute celui d'être l'invitée du théâtre d'Éric-Emmanuel Schmitt dont elle a récemment mis en scène « Le Visiteur », une pièce qui l'a durablement marquée. Johanna Boyé était adolescente lorsqu'elle découvre la production où jouaient Tom Novembre et Rufus. Il se trouve que c'est l'une des pièces qui lui ont donné envie de faire ce métier : la boucle est bouclée!

Brigitte Faure

Cette comédienne, 1er prix du conservatoire de Dijon, chanteuse et polyglotte de surcroit, s'installe au Rive Gauche où elle incarne deux personnages féminins forts, l'un dans « Le Petit coiffeur » jusque fin mai 2022, l'autre dans «Les Filles aux mains jaunes » qui débute fin août 2022.

Après « Le Cas de la famille Coleman », c'est sa deuxième pièce avec Johanna Boyé rencontrée en 2010 sur le « Bourgeois Gentilhomme » de Daniel Leduc où elles jouaient toutes deux. Mais c'est après avoir vu Brigitte Faure dans «Une Diva à Sarcelles » que la metteuse en scène a souhaité lui voir interpréter Jeanne Chantour, l'une des quatre « Filles aux mains jaunes » qui travaillent dans une usine d'armement. Une ouvrière bourrue, assez réac, toujours prompte à mettre les pieds dans le plat, rendue sympathique par sa grande gueule et son grand cœur. Autant dire : un rôle en or !

Outre ses qualités d'actrice, Brigitte Faure a une voix. Ses qualités de soprano, qu'elle dit n'avoir jamais travaillées et qui ont toujours été pour elle un peu comme un hobby, lui ont permis de jouer dans une dizaine de spectacles musicaux, sans oublier ces mini concerts donnés à l'Epée de Bois. Vient ensuite « Une Diva à Sarcelles » nommé aux Molières 2010 et donné dans le cadre idéal du Théâtre de la Huchette. Un spectacle écrit pour elle par Virginie Lemoine après qu'elle l'ait vue se produire avec sa compagnie de théâtre musical Nag'airs, créée pour faire connaitre le répertoire de la chanson française. « Une belle surprise quand elle m'a appelée pour me demander si elle pouvait écrire une pièce pour moi. Cette femme est incroyable, c'est la générosité même. Sa rencontre a changé ma vie et «Une Diva à Sarcelles» compte beaucoup et a été un puissant révélateur pour moi. À quoi il faut ajouter le plaisir d'avoir joué dans «Le Bal d'Irène Némirovsky» que Virginie Lemoine a mis en scène pour Avignon puis pour le Rive Gauche.
Ayant toujours marqué sa priorité pour le théâtre, Brigitte Faure a été dirigée par des metteurs en scène comme Victor Haïm, Antonio Diaz Florian, Mathilda May ou Dominique Guillo notamment. Elle a aussi remplacé Michele Garcia au moment de la tournée de « L'Hôtel des deux mondes » d'Éric-Emmanuel Schmitt sous la direction d'Anne Bourgeois.

Récemment, elle participe à la création du «Petit coiffeur » de Jean-Philippe Daguerre, qui reste à l'affiche du Rive Gauche jusqu'au 29 mai 2022. Il s'agit de sa première collaboration avec l'auteur dont elle salue l'écriture et sa facilité à faire vivre de magnifiques personnages féminins. Son rôle dans cette pièce comme celui des « Filles aux mains jaunes », l'a particulièrement marquée par leur force et leur intensité. Elle entend bien prolonger ce plaisir avec les projets qui l'attendent, « Douze femmes en colère » de Flavia Costes et la prochaine pièce de Michel Bélier avec, à la clé, un autre magnifique rôle de femme.

Valentin de Carbonnières

Du talent et de l'énergie à revendre, Valentin de Carbonnières distingué en 2019 par le Molière de la Révélation Masculine continue un parcours de comédien marqué par l'exigence et la diversité. Il sera au centre de «L'Invention de nos vies » au festival d'Avignon 2022.

Ses spectacles sont toujours choisis avec soin. Sans renoncer à l'écriture et à l'avancée de ses projets, il joue dans «Je suis bizarre », une pièce sur l'hermaphrodisme donné au Lavoir Moderne Parisien, écrit et mis en scène par Astrid Bayiha, rencontrée au Conservatoire et avec qui il partage une vraie complicité. Avec elle, il a aussi joué « M comme Médée », acheté par les CDN de Martinique et de Guadeloupe. « C'est un spectacle très important, qui me comble totalement. On travaille sur le chœur, le corps avec tous les écrits théâtraux sur Médée depuis les Grecs jusqu'à aujourd'hui. C'est un patchwork sublime ».
Juste après le confinement, Valentin a pu s'envoler pour la Réunion et le festival « Komidi » avec « Miss Nina Simone » dans la mise en scène d'Anne Bouvier.

Il vient également de vivre une expérience qui a aiguisé son appétit pour le cinéma. Son agence lui propose un casting. Il s'agit de l'adaptation des « Huit montagnes » de Paolo Cognetti, magnifique roman sur l'amitié et les sommets que veut réaliser Félix van Groeningen, auteur de « Alabama Monroe » et «My Beautiful Boy ». « Je me donne à fond mais sans rêver car il fallait tourner en patois italien des Dolomites. Ils ont éliminé beaucoup de monde dont un grand acteur français et on ne restait plus que deux en lice ». Le fait de ne pas aller au bout ne l'empêche pas de garder de cette aventure et des liens créés avec Félix van Groeningen un formidable souvenir. « Depuis, ma vision du travail à l'image a changé et je pense que cela aura des répercutions dans un avenir proche » dit-il. D'autant qu'il vient de signer pour une rôle récurrent dans la série «L'Amour (presque) parfait » de Pascale Pouzadoux sur France 2.

Avant de jouer « L'Invention de nos vies » sur la durée à Avignon, Valentin de Carbonnières, tombé lui aussi amoureux du roman de Karine Tuil, a pu s'emparer de son rôle au cours d'une pré-tournée. « J'ai pu intégrer tout ce qui est important dans cette pièce et notamment le collectif. Il n'y a pas à proprement parlé de rôle principal. Tout le monde participe aux changements de décors, de costumes, en coulisse c'est un vrai spectacle, et puis les comédiens interprètent plusieurs personnages dans des scènes très rapides, toujours importantes ». Il parle avec chaleur de son travail sur la tension intérieure, de son personnage et ces hommes prisonniers de lourds secrets, toujours obligés de donner le change. Jusqu'à parfois vivre leur effondrement brutal comme la possibilité d'être enfin soi. Et de profiter comme dans la pièce d'une liberté retrouvée mais chèrement payée par un bannissement de tout ce qui faisait leur vie d'antan. « Avec les réseaux sociaux qui parfois nous dédoublent, cette pièce a une portée incroyable ».
Plus que quelques semaines avant Avignon que Valentin de Carbonnières aborde comme un combat. « Il faut être à fond, vendre le spectacle et faire que le bouche à oreille fonctionne à fond. J'aime ce rythme de fou et je m'y prépare avec beaucoup de concentration. Jouer tous les jours, c'est affiner son personnage par des tas de petits détails, parfois imperceptibles mais qui lui donne toute sa consistance. C'est le vrai travail ! ».
Paru le 15/08/2022