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© Ch. Raynaud DeLage
Interview par Jeanne Hoffstetter
Laurent Vacher
Giordano Bruno : "Le Souper des cendres" au théâtre de la Reine blanche

Après «Des signes des temps», le metteur en scène Laurent Vacher consacre un second spectacle à ce prêtre philosophe rebelle, répudié par l'église pour son esprit contestataire et ses idées dérangeantes sur l'univers. Condamné à mort à l'issu d'un long procès, il est brûlé vif à Rome en février 1600.
Contrairement à Copernic et Galilée les gens connaissent peu Giordano Bruno, farouche défenseur d'une vision révolutionnaire de l'univers, un univers infini. Pour quelles raisons selon vous et comment en êtes-vous venu à vous intéresser à lui ?
C'est vrai que dans la chronologie de la Science il manque souvent Giordano Bruno pour comprendre l'évolution de la pensée en astronomie. Mais il n'était pas mathématicien, uniquement philosophe. C'était un visionnaire, ce n'est que par le raisonnement et l'intuition qu'il est arrivé à affirmer que la terre évolue dans un système infini privée de centre, il n'a malheureusement jamais pu le prouver scientifiquement. Après huit ans de procès il a été condamné à mort par l'inquisition Romaine. Grâce à l'astrophysicien Paul Felenbok qui en tant que passionné de théâtre connaissait bien mes spectacles, ainsi qu'à la maison d'éditions Belles lettres, éditeur des œuvres complètes de Bruno et d'une partie de son procès, je me suis engouffré dans la découverte de ce personnage incroyable et dans des lectures qui m'ont ouvert l'esprit à des mondes fascinants vers lesquels je ne serais jamais allé autrement. Sans compter le mystère qui a entouré la circulation de son œuvre malmenée par le Vatican, tout avait disparu, laissant place à des légendes jusqu'au jour où ça a mystérieusement réapparu... où la pensée de ce philosophe s'impose. C'est passionnant !

Votre premier spectacle évoquait l'exil de Bruno, son long parcours à travers l'Europe et les persécutions dont il était victime. Votre texte se base maintenant sur des minutes de son procès et Le souper des cendres, l'œuvre la plus célèbre de Giordano. Expliquez-nous ce nouveau choix.
Bruno, bien que sachant pourtant l'horrible exécution qui l'attendait, le bucher, n'a jamais voulu accepter l'abjuration qui l'aurait sauvé. Je me pose des questions face à une telle capacité de résistance. Son procès a duré huit ans, il a été torturé... Comment dans ces conditions un homme peut-il du fond de sa prison, préparer mentalement le discours qu'il tiendrait pour appuyer ses convictions et pour finalement préférer mourir dans d'atroces conditions que de renier ces travaux philosophiques ? Mais le temps lui a donné raison puisque pour justifier sa condamnation, l'église a conservé ses écrits. C'est grâce à ça que nous les connaissons aujourd'hui ! J'ajoute que son écriture est d'une grande modernité, il mêle au dialogue platonicien, la poésie, la géométrie, tout ça avec un souffle shakespearien et un côté très rabelaisien.

Sur scène, un comédien et un contrebassiste donneront vie à votre texte. N'est-ce pas un sacré défi que celui de maintenir l'attention d'un public non averti ? Et pourquoi ce choix d'une contrebasse en accompagnement ?
Comme ça se faisait beaucoup à l'époque l'auteur se place au centre avec ce qu'il affirme, autour de lui des voix contradictoires : un dialogue platonicien. Là plutôt que de s'opposer, le dialogue joue le rôle de catalyseur pour le conduire à préciser sa pensée. J'ai une heure pour raconter ce souper qui dure toute la nuit, j'ai été obligé de faire des choix pour ne pas noyer le spectateur dans un flot de paroles incompréhensibles. D'autant que je ne cherche pas à réincarner Bruno, mais à faire entendre sa pensée poétique et philosophique. La manière dont il a fait entendre la modernité de son propos, très actuel. Quant à la musique, elle exprime souvent mieux un sentiment, une émotion ou un trouble que des mots. Je trouve que les résonnances de la contrebasse peuvent traduire l'enfermement et le tumulte de la pensée, et aussi ce que l'on peut imaginer être la musique de l'espace. La contrebasse est un instrument plein de ressources sonores et je trouvais intéressant de la mettre face au texte et à la solitude de Giordano Bruno. J'ai commandé une partition à Philippe Thibaud qui sera jouée en direct sur le plateau et qui sera comme une conversation entre les mots de Bruno, la situation et la construction de son ultime discours devant ses juges. C'est un sacré défi, oui, mais tellement passionnant !
Paru le 15/09/2000