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© Pascalito
Interview par Jeanne Hoffstetter
Isabelle Carré
"La Dégustation", au théâtre de la Renaissance

Une vieille fille en puissance, un caviste veuf et bougon, un libraire, un jeune homme en liberté conditionnelle vont contre toute attente tisser des liens autour d'une dégustation mémorable de vins. L'entremetteur? Ivan Calbérac, l'auteur-metteur en scène qui de nouveau ravit le public, servi par des comédiens dans le ton. Isabelle Carré rayonne.
Derrière la drôlerie du propos et des situations, on s'aperçoit peu à peu que les liens qui se tissent entre ces personnages bien stéréotypés, ont au fond une vraie raison d'être.
Absolument. Et ce que j'ai aimé dès la lecture, c'est cet humour rassembleur qui ne stigmatise pas, mais s'attelle à faire tomber les clichés et à donner à chacun une profondeur beaucoup plus surprenante que ce à quoi l'on pouvait s'attendre. Derrière sa façon d'être, chacun cache une blessure qui va les réunir.

Vous êtes Hortense de la Villardière, une catho qui s'occupe de SDF mais qui, sous ses dehors un peu coincés pousse très loin le bouchon de la cocasserie. Un rôle qui semble vous amuser beaucoup et dont vous n'hésitez pas à forcer le trait. Avez-vous rencontré ce type de personne ?
C'est vrai qu'elle a en elle énormément, de fantaisie, de folie. Quand nous avons fait la première lecture avec Ivan j'ai eu à cœur d'aller encore plus loin dans le désir inassouvi qui s'échappe par tous les pores de sa peau. Consciemment ou pas, elle tient par moment des propos à forte connotation sexuelle. J'aime beaucoup jouer ce personnage un peu coincé qui est en fait plein de désir et de vie ! Il est vrai aussi qu'il me fait penser -ma mère appartenant à l'aristocratie Vendéenne- à certaines personnes que j'ai côtoyées dans mon enfance et mon adolescence. Des personnes qui paraissent comme ça dans le moule, mais sont beaucoup plus surprenantes qu'il n'y parait !

Pour être une comédie, ce que la pièce dévoile peu à peu des personnages fait qu'elle n'en n'est pas moins profonde et touchante.
Oui, c'est ça, chacun gère sa solitude à sa manière. Hortense est en demande des autres, elle ne cache rien, elle est généreuse. Le personnage joué par Bernard Campan est une espèce d'ours replié dans sa grotte et c'est Steeve, le troisième personnage, qui va les rapprocher. Grâce à leurs différentes rencontres chacun parvient à sortir un peu de son pré-carré. Pour l'un de sa « grotte », pour l'autre de ses difficultés à entrer dans le monde du travail, et pour la troisième de ses problèmes de cœur et de ce désir fou d'enfant. Au bout du compte ils auront tous une seconde chance. J'aime beaucoup l'idée que l'on a besoin des autres, que l'on ne peut rien réussir seul.

Malgré les contraintes imposées par la Covid le public vient, masqué, aussi nombreux qu'il est possible de l'accueillir et, je l'ai constaté, s'amuse beaucoup. Tout comme vous sur scène.
Ah oui ! On s'entend tellement bien, on s'amuse vraiment. C'est la première fois que j'accepte de reprendre une pièce, et j'ai bien fait parce que je trouve que celle-là est absolument nécessaire en ce moment. Et c'est un vrai bonheur !
* Lauréat du Molière 2019 de la comédie. Avec Isabelle Carré, Bernard Campan, Mounir Amamra, Olivier Claverie, Éric Viellard.


Du côté des Indiens, paru chez Grasset

Le second livre d'Isabelle Carré met en scène quatre personnages qu'un fait va relier. Ziad, un petit garçon de dix ans, Anne et Bertrand ses parents, Murielle une ex comédienne devenue scripte, peut-être pour se mettre à l'abri après une expérience douloureuse. Tous vivent dans le même immeuble. « Au départ, explique l'auteure, j'ai eu envie de raconter une amitié entre une femme adulte et un enfant. Ce que je trouve toujours très touchant. Ziad ressemble beaucoup au Momo de «La Vie devant soi» de Romain Gary. J'ai écrit l'histoire en quatre parties à travers lesquelles chacun prend le temps de se raconter. J'imaginais presque des nouvelles liées par le même fil narratif. » Mais alors qu'Isabelle Carré est plongée dans l'écriture, éclate l'affaire Weinstein qu'elle ne pouvait laisser passer... « C'est vrai que j'ai eu à cœur d'y apporter ma petite pierre, quand Murielle se raconte, elle parle de son passé de comédienne. C'était pour moi l'occasion de partager ma propre expérience et celle qu'en trente-deux ans de métier certaines comédiennes m'ont racontée. » Sans ce coup de tonnerre Du côté des Indiens aurait sans doute été différent, non ? «C'est vrai que je ne suis pas certaine que j'aurais abordé le problème de cette façon-là. Je serais restée concentrée sur l'amitié entre Ziad et Murielle. Mais c'était une évidence pour moi d'insérer ce passage-là, qui est un des plus forts du livre. » Entre le jeu et l'écriture, Isabelle Carré est en ce moment l'image même du bonheur ! « Ah oui, je suis très heureuse, très chanceuse aussi d'avoir maintenant deux endroits où je peux m'exprimer avec le sentiment d'être entendue, ce qui me touche beaucoup.»
Paru le 15/09/2021