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© Patrick Camboulive
Dossier par Jeanne Hoffstetter
Métier du théâtre : Thierry Flamand, décorateur

Après "Le Dieu du carnage", de Yasmina Reza et "Elle t'attend", de Florian Zeller, il signe avec "César Fanny Marius", l'un des plus remarquables décors de la saison théâtrale. Architecte de formation, Thierry Flamand est devenu au fil du temps un chef décorateur tout-terrain. Les plus grands noms du cinéma et du théâtre font appel à son talent, qu'il exprime également depuis peu, et avec jubilation, dans le domaine des jeux vidéo.
Pensiez-vous en faisant des études d'architecture faire des décors pour le théâtre ?
Non. J'aurais adoré être architecte, mais je n'avais pas les moyens de monter une agence. Plus le temps passe, plus je me dis qu'il ne faut pas vouloir être architecte, mais Grand architecte, de ceux à qui l'on dit "Faites ce que vous voulez" sur un grand projet. Il y a là une nuance gigantesque.

De l'architecture à la décoration, il n'y a eu qu'un pas... Que le hasard vous a fait franchir ?
Le hasard, et puis mon frère Didier, qui m'a demandé un jour de faire des affiches de théâtre. Grâce à ça je suis entré dans ce milieu, et comme j'y ai trouvé mon compte, j'y suis resté. Au cinéma, j'ai commencé avec des copains sur le premier film de Luc Besson. J'ai eu la chance que la production apprécie mon travail et me propose un autre film. Puis d'autres ont suivi et j'en ai fait une bonne trentaine. Mais que l'on soit architecte ou décorateur, le problème n'est pas seulement de savoir si l'on est bon, il est avant tout celui de la qualité de la commande !

Travailler sur une pièce est-il plus simple que sur un film ?
Un devis de cinéma est dix fois supérieur, donc d'une grande complexité à gérer. Les décors à réaliser, studio ou extérieurs sont multiples, certains peuvent être coupés au montage. S'il faut faire une comparaison, disons que le cinéma est une forêt assez inextricable, et le théâtre une clairière dans laquelle je trouve une sérénité très gratifiante à penser que tout ce que j'ai fait sera bien là.

Votre formation vous donne une parfaite maîtrise de l'espace. Certaines scènes doivent pourtant vous poser des problèmes...
Il est vrai que les théâtres à l'italienne, contrairement aux scènes frontales des théâtres modernes, posent davantage de problèmes. Mais c'est un plaisir pour moi d'essayer de les résoudre ! Faire en sorte, par exemple, que les personnes assises aux extrémités ou dans les loges de côté puissent rester dans le décor, ne pas voir les coulisses. J'aime aussi imaginer que dans un théâtre privé souvent un peu plus étouffant, l'espace puisse apparaître agrandi, infini...

Quel est votre espace de liberté par rapport au metteur en scène, comment abordez-vous le travail avec lui ?
Bien que je sois toujours à son service, c'est un espace de grande liberté, de confiance. À moi de comprendre ce vers quoi il désire aller, de pousser l'idée et de lui apporter toujours plus que ce à quoi il s'attendait. Lorsque je lis un texte, je fais immédiatement quelques croquis qui donnent un aperçu de l'espace, une direction de textures, de couleurs, qui permettront de ne pas rester dans l'abstrait et serviront de base de discussion. Ensuite, je travaille avec mon assistante sur les plans, les volumes, avec mon ensemblière pour le mobilier, les objets, puis vient la construction et l'essentiel du travail avec mon peintre... Seul, je ne serais rien. J'entretiens une grande complicité avec mon équipe. Notre démarche est fusionnelle et chacun enrichit le projet de sa propre personnalité.

Photoshop est-il devenu incontournable dans votre métier ?
C'est un truc formidable mais il faut savoir s'arrêter. Ça permet de faire des images "comme si on y était". C'est justement ce qui est un peu dérangeant. Avant, j'arrivais à convaincre que ça allait être génial à partir de dessins au crayon auxquels chacun apportait son imaginaire, alors que, maintenant, l'idée est souvent qu'il faut montrer la chose avant même qu'elle soit réalisée. Moi, je préfère montrer l'esprit et non le décor lui-même, laisser travailler l'imaginaire. Pour le virtuel, je fais des décors en 3D pour les jeux vidéo. C'est un autre univers, un autre plaisir à être "de son temps" !

Et malgré tout, le théâtre demeure.
Oui, on est en train de parler de l'engouement pour le virtuel et pendant ce temps-là, des gens font du théâtre, de la danse, des performances comme celle de Nadj et Barcelo aux Bouffes du Nord. Rien ne tue rien, au contraire tout enrichit, mais le rapport direct aux comédiens, c'est unique, humain. Le théâtre ne mourra jamais !
Paru le 30/06/2009