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Bruno Perroud
Portrait par Marie-Céline Nivière
Danièle Lebrun
“C’est marrant, mais plus tu vieillis, et plus tu dis la vérité”

Quand Bruno Perroud m'a proposé de faire le rendez-vous avec Danièle Lebrun, j'ai sauté de joie. La Lebrun, cela ne se refuse pas. "Elle est formidable dans la pièce de Brisville." Le contraire m'aurait plutôt étonnée. Pour nous - pardon aux plus jeunes ! -, Danièle Lebrun c'est Vidocq, l'une des meilleures séries télévisées jamais faites...
Au passage, remercions Marcel Bluwal, son époux, pour la qualité de ses œuvres télévisuelles, qui prouvent que l'on peut proposer de grandes choses sur le petit écran. Danièle Lebrun est fière, son Marcel a repris la caméra et vient de rafler, pour son nouveau téléfilm, toute une série de récompenses. Depuis qu'elle fait partie de la bande à Lidon, j'ai eu, plus d'une fois, l'occasion de partager ses soirées, ses aventures théâtrales. Si elle intimide au début, elle finit vite par vous séduire. Danièle Lebrun est drôle, avec son franc-parler, un coup titi parisien, un coup très "la Baronne de Saint-Gely". Elle s'énerve vite sur les injustices, la bêtise ; s'émerveille, s'enthousiasme sur le reste.

La loge

J'arrive au théâtre à 19 heures. Passant derrière le décor, je me rends à sa loge où elle se prépare. L'ambiance est feutrée, chaleureuse. C'est le lieu où le comédien passe du quotidien au théâtre. Après la représentation, il y fait le chemin inverse. C'est toujours impressionnant pour le visiteur. Lorsque je lui demande comment on se prépare, elle me répondra, tout en se maquillant, qu'elle ne peut pas vraiment l'expliquer. "En tout cas, pour cette pièce, il y a beaucoup de choses à faire. Il y a la perruque, le corset... Tu ne peux pas arriver une heure avant. D'autant plus que là, c'est encore tout neuf, fragile. En fait, cela dépend des pièces. Pour 'La Mouette' (premier travail avec Christophe Lidon, ndlr), on arrivait tous très tôt. On aimait prendre un café ensemble. On avait créé une famille. C'était pareil avec le Lagarce ('Juste la fin du monde' qu'elle vient de jouer en tournée et au théâtre de La Cité internationale)."

Le projet

Je lui demande de me raconter comment la machine s'est mise en marche pour faire naître et exister ce spectacle. "Danièle Franck (directrice du théâtre, ndlr) m'a proposé 'L'Antichambre' de Brisville. Je l'ai relue. Je voulais bien le faire mais pas avec n'importe quel metteur en scène. Il fallait que je sois en confiance. Alors, j'ai dit tout le bien que je pense de Christophe. J'avais tellement envie de retravailler avec lui. Il a un tel talent !" Nous n'allons pas la contredire. "C'est une pièce difficile. Brisville aime les duels, Pascal-Descartes, Talleyrand-Fouché. Le principal, c'est la mise en scène. Les Franck sont ravis du choix de Christophe." Elle apprécie aussi celui de ses camarades de jeu. "Roger (Dumas) apporte quelque chose de très chouette au Président. Sarah (Biasani) a beaucoup d'éclat." Ayant vu la pièce, nous évoquons l'accueil du public. Elle croise les doigts : "Je crois que les gens sont contents." C'est par une salve d'applaudissements qu'ils saluent le travail. À la sortie, les commentaires positifs fusent. L'essentiel est là, ils sont heureux d'avoir passé une vraie soirée de théâtre. Et puis ce XVIIIe siècle a une foule de choses à dire à ce début de XXIe siècle. "Oh oui, on a vraiment besoin de philosophes et de la philosophie !"

La marquise du Deffand

C'est un rôle magnifique, celui d'une femme d'esprit, qui tenait salon où tous les grands penseurs de l'époque se donnaient rendez-vous. Elle prend sous sa coupe "sa nièce de la main gauche", la jeune Julie de Lespinasse, qui lui volera sa place. "C'est magnifique de jouer les salopes ! C'est très théâtral les femmes fortes", s'exclame-t-elle, lorsque je souligne la dureté de son personnage. "Je joue ce qui est écrit. Je ne cherche pas à être sympathique. Cette femme avait le goût de la vérité. C'est marrant, mais plus tu vieillis et plus tu dis la vérité. Cette femme n'a jamais rien écrit d'autre que des lettres. Elle a toujours tout assumé cette nénette. Elle s'est tapé le régent à 20 ans, a divorcé pour être libre. Elle en voulait. Elle le dit : 'À cette époque... Il nous fallait plaire à tout prix sous peine de ne pas être vue.' C'est tout le XVIIIe siècle que l'on raconte. C'est ça qui est passionnant."

Le jeu

J'ai été subjuguée par ce qu'elle nous propose dans la dernière scène. Son personnage est aveugle, fragilisé, amer. Elle a rendu tout cela palpable par une composition physique étonnante. Elle sourit. "Christophe m'a dit : 'C'est un sphinx.'" Et Danièle mime le sphinx. "La pièce se passe sur dix ans, nous sommes au théâtre, donc pas le temps de faire de grandes métamorphoses, cela se fait par conséquent par de petites choses, de petits gestes et les lumières." Magnifique travail de Marie-Hélène Pinon. "Je me suis inspirée de Simone Signoret et d'une vieille amie aveugle, extraordinaire de la voir se mouvoir dans sa maison alors qu'elle n'y voit plus rien." Mais comment fait-elle pour faire changer son visage ? Elle éclate de rire, se lève. "À la base, c'est un truc de comique. Je fais ça pour faire rire les copains." Elle ferme un œil. C'est très drôle. "Je garde un verre de contact, celui de l'œil qui se ferme. Du coup je vois trouble de l'autre œil que je lève au ciel." Elle me montre et là, tout change, cela devient émouvant. Il est temps de m'éclipser pour laisser la Marquise prendre place.
Paru le 24/03/2008

(67 notes)
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