Zoom par Antoine Fernandez
Le Mystère de l’Homme Invisible
Au Lucernaire
"Être ou disparaître" ? Trois mots discrètement inscrits au bas de l'affiche de cette adaptation habile du roman de H. G. Wells, célèbre auteur de la Guerre des Mondes, trois simples mots qui, si on les lit bien, sont des portes ouvertes sur des questionnements plus larges. Au Lucernaire, Ned Grujic et ses compagnons nous proposent un conte qui initie à l'art de regarder et comprendre un homme qu'on ne peut pas (ou veut pas) voir.
L'enfance a cela de merveilleux qu'elle fait ouvrir grand les yeux sur le monde ; tout y est possible, tout peut exister, même ce qu'on ne voit pas. Assis sur les banquettes du théâtre Noir, au premier étage du Lucernaire, notre regard de spectateur retrouve rapidement ces sensations de prime jeunesse ; le mystérieux Griffin, célèbre tête bandée et coiffée d'un chapeau, nous apparaît pour la première fois sous la neige, derrière le carreau d'une fenêtre, et l'existence d'un homme invisible nous devient alors plausible. Sébastien Bergery, Emmanuel Leckner et Sarah Clauzet, les artisans de cette poésie, créent à six mains et trois corps une vie charnelle à la présence palpable ; les livres flottent, les portes s'ouvrent et se ferment, un pas lourd traverse la scène... On se mettrait à douter, y-a-t-il quelqu'un d'autre dans cette salle ?
Seul visible sur scène, Thomas Marceul (épatant !) a la charge de faire vivre tous les autres personnages et, derrière ce beau panel de l'anglais moyen du West Sussex, il disparait lui aussi. Son corps se transforme, se dresse et se tord dans des postures dignes de l'expressionnisme allemand (Mrs. Hall, la gérante de l'auberge, a le dos courbé des conspirateurs et des savants fous) auxquelles il mêle, par-ci par-là, la dégaine du français populaire (le préfet de police, toujours dépassé, a les airs truculents d'un Galabru gendarme).
Bien qu'on guette comme des enfants les manifestations de l'homme invisible, c'est bien les habitants de Iping dont on nous raconte l'histoire et les faiblesses. "Il s'est mis lui même à l'écart de l'humanité" dit l'un d'eux à propos du malheureux Griffin.
Et si c'était l'inverse ? Si l'humanité l'avait mis à l'écart ? C'est sous cet angle que Ned Grujic adapte et met en scène avec élégance "L'homme invisible"» de H. G. Wells, célèbre roman d'un 19ème siècle britannique foisonnant de grandes épopées de fantasy, celles d'expériences scientifiques qui créent des monstres et qui sont surtout un savant prétexte pour leurs auteurs qui veulent parler de notre humanité.
Au Lucernaire, l'histoire est bien moins sombre que dans l'oeuvre originale (moins de morts et de folie) mais pas moins tragique. C'est intelligent ce regard que Ned Grujic fait tourner autour des habitants lambda d'une ville lambda, qui ne croient que ce qu'il voient (toujours d'actualité !), qui ne comprennent pas et ne cherchent jamais à comprendre le désespoir d'un homme trop " dangereusement" différent. Griffin est un Sisyphe version sauce à la menthe, pris au piège dans une tragédie sans issue : d'abord poussé à s'effacer d'un monde qui le rejette (il est né albinos), il cherche éperdument à ne plus être invisible quand ce même monde le refuse dans son nouvel état.
Adapter, à une époque où l'on cherche à tout prix à être vu, l'histoire d'un homme qui a choisi de disparaitre, c'est un choix qui, en plus d'être très pertinent voire utile, ouvre des interrogations sur notre rapport au changement et au dépassement. Pourquoi refuse-t-on qu'un des nôtres ait voulu changer ? Et pourquoi prendre ce changement comme une menace plutôt que comme une richesse ? Alors que si, au contraire, les regards s'ouvraient pour voir l'invisible chez l'autre, "tant de merveilles auraient pu arriver".
Ainsi se conclut cette petite perle théâtrale à la poésie si inspirante.
Seul visible sur scène, Thomas Marceul (épatant !) a la charge de faire vivre tous les autres personnages et, derrière ce beau panel de l'anglais moyen du West Sussex, il disparait lui aussi. Son corps se transforme, se dresse et se tord dans des postures dignes de l'expressionnisme allemand (Mrs. Hall, la gérante de l'auberge, a le dos courbé des conspirateurs et des savants fous) auxquelles il mêle, par-ci par-là, la dégaine du français populaire (le préfet de police, toujours dépassé, a les airs truculents d'un Galabru gendarme).
Bien qu'on guette comme des enfants les manifestations de l'homme invisible, c'est bien les habitants de Iping dont on nous raconte l'histoire et les faiblesses. "Il s'est mis lui même à l'écart de l'humanité" dit l'un d'eux à propos du malheureux Griffin.
Et si c'était l'inverse ? Si l'humanité l'avait mis à l'écart ? C'est sous cet angle que Ned Grujic adapte et met en scène avec élégance "L'homme invisible"» de H. G. Wells, célèbre roman d'un 19ème siècle britannique foisonnant de grandes épopées de fantasy, celles d'expériences scientifiques qui créent des monstres et qui sont surtout un savant prétexte pour leurs auteurs qui veulent parler de notre humanité.
Au Lucernaire, l'histoire est bien moins sombre que dans l'oeuvre originale (moins de morts et de folie) mais pas moins tragique. C'est intelligent ce regard que Ned Grujic fait tourner autour des habitants lambda d'une ville lambda, qui ne croient que ce qu'il voient (toujours d'actualité !), qui ne comprennent pas et ne cherchent jamais à comprendre le désespoir d'un homme trop " dangereusement" différent. Griffin est un Sisyphe version sauce à la menthe, pris au piège dans une tragédie sans issue : d'abord poussé à s'effacer d'un monde qui le rejette (il est né albinos), il cherche éperdument à ne plus être invisible quand ce même monde le refuse dans son nouvel état.
Adapter, à une époque où l'on cherche à tout prix à être vu, l'histoire d'un homme qui a choisi de disparaitre, c'est un choix qui, en plus d'être très pertinent voire utile, ouvre des interrogations sur notre rapport au changement et au dépassement. Pourquoi refuse-t-on qu'un des nôtres ait voulu changer ? Et pourquoi prendre ce changement comme une menace plutôt que comme une richesse ? Alors que si, au contraire, les regards s'ouvraient pour voir l'invisible chez l'autre, "tant de merveilles auraient pu arriver".
Ainsi se conclut cette petite perle théâtrale à la poésie si inspirante.
Paru le 20/06/2025






![]() ![]() ![]() ![]() ![]() (13 notes) THÉÂTRE DU LUCERNAIRE Jusqu'au dimanche 27 juillet
THÉÂTRE CONTEMPORAIN à partir de 8 ans. "Et si vous aviez le pouvoir de devenir invisible ?" C’est par ces mots que H.G. Wells fait naître sous nos yeux l’histoire de l’Homme Invisible. Devant sa machine à écrire, avec un véritable amour du théâtre, il fait surgir les personnages de son imaginaire en les jouant à tour de rôle. Autour de...
|