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Laurencine Lot
Dossier par François Varlin
Les Bonniches du théâtre Hébertot

Le metteur en scène Alain Sachs met en scène la nouvelle pièce de Daniel Besse - "Les Bonniches" - au théâtre Hébertot.
Alain Sachs

Alain Sachs s'attable dans un restaurant proche du théâtre, se lance et parle avec fougue de son projet. Sans trop s'attarder sur la saison théâtrale passée, il regarde vers l'avenir : "La dernière rentrée a été difficile dans le privé pour tous les spectacles qui n'étaient pas de divertissement. Mais quand la proposition est vraiment appropriée, le public se mobilise. J'ai le sentiment que Les Bonniches est une pièce pertinente, hors saison, hors normes !" Rien qu'à l'écouter on partage son enthousiasme, ce metteur en scène connaît son métier, c'est un homme de spectacle qui a monté beaucoup de projets ces derniers mois : La Belle Mémoire, Un amour de théâtre, Margot la ravaudeuse, Folles de son corps...
Hébertot, lieu de création
Curieusement, ses pas le conduisent souvent à l'Hébertot. Il s'en explique : "Le théâtre Hébertot est dirigé depuis un an par Danièle et Pierre Franck, ce sont des gens qui ont toujours pris des risques, ils ont dirigé l'Atelier pendant vingt-cinq ans. Ils ont toujours dit qu'ils ouvriraient l'Hébertot avec moi, et m'avaient proposé La Belle Mémoire, qui a été jouée quatre mois. Après s'est demandé comment rebondir, ils n'ont eu de cesse - très gentiment -, que de vouloir rebondir avec moi. Ils ont lu des pièces, accueilli dans l'intervalle Jean-François Balmer, puis décidé de faire une deuxième création dans l'année, le 15 avril, ce qui montre que ce lieu va réellement être un lieu de création et de recherche d'auteurs."
Le choix s'est donc porté sur une pièce de Daniel Besse qui recèle à leurs yeux d'évidentes qualités littéraires et théâtrales : "Le problème du théâtre contemporain c'est de savoir de quoi il parle et comment il en parle. L'auteur est aussi acteur, comme l'est Yasmina Reza : ces gens deviennent des auteurs à travers une sensibilité d'acteur." Alain Sachs de son côté réunit une équipe de comédiens qu'il aime : Jean-Paul Farré et Bernard Alane, avec lequel il avait monté Le Sire de Vergy en 2000, auxquels se joignent Gilles Gaston Dreyfus et Caroline Maillard. "Ce spectacle n'est pas un coup, pas une affiche, c'est un plaisir", observe-t-il.

Des personnages attachants

Le thème est original : trois comédiens se retrouvent dans un hôtel minable au cours d'une création théâtrale en province, tandis que les têtes d'affiche ont investi le palace local. Ils sont les bonniches : "Nous sommes tous les bonniches, les sans-grade de quelqu'un. Cette pièce parle du problème que chacun rencontre pour se situer humainement dans l'échelle sociale. Comment subir, vivre et intégrer la place que l'on vous donne."
Un sujet qui touche tout le monde, des personnages attachants. Alain Sachs est heureux, il dirige sa répétition comme un chef d'orchestre. Il fait du théâtre.


Les comédiens

Jean-Paul Farré, Bernard Alane et Gilles Gaston-Dreyfus sont ces trois bonniches. Entre deux répétitions, ils parlent d'eux, de leurs personnages.

Jean-Paul Farré :
"Dans ce métier, rien n'est jamais acquis"

On vous connaît beaucoup comme un comédien qui œuvre en solitaire...

Après Effroyables jardins de Michel Quint, pièce que j'ai jouée trois ans seul en scène, j'avais envie de travailler avec d'autres gens, de partager le plateau, de dialoguer avec des partenaires. Seul en scène, on s'ennuie un peu, on finit par ne plus savoir écouter les autres. Je crois aussi qu'il est important de faire des créations. J'aime cela, j'aime jouer les textes des autres, c'est nourrissant intellectuellement, sinon je ne ferais que des one-man-shows... J'aime raconter des histoires : "Il était une fois, dans un petit hôtel au fin fond d'une zone industrielle, trois acteurs qui ne devraient pas être là."

Comment abordez-vous votre personnage ?

Je le construis petit à petit, je le monte par touches avec les couleurs de ma palette, comme un peintre. J'avoue ne pas avoir d'idée préconçue. Mon personnage s'appelle Sartre, mais il ne s'agit pas d'imiter Jean-Paul Sartre, de lui ressembler, même si, pour mon plaisir, j'ai écouté sa voix dans une vidéothèque. On ne sait pas encore comment nous jouerons nos personnages. Il faut une grande sincérité. Ce n'est pas du Feydeau, il y a beaucoup d'humour, je pense que les gens vont rire, mais c'est de l'humour en demi-teinte. J'essaie toujours de suivre les indications d'un metteur en scène, de mes partenaires qui me parlent. Une pièce n'est pas une somme de numéros individuels ; de plus, la pièce n'est pas écrite pour cela, les dialogues sont assez courts. Cette pièce m'a séduit aussi par l'originalité de son sujet : ces petits comédiens, qui ne sont pourtant pas des ringards, n'ont vécu que de petits rôles ; ils réagissent de manière différente sur le fait de ne pas être reconnus à leur juste valeur... Comme beaucoup de comédiens.

Comme eux, est-ce que vous avez connu des débuts difficiles ?

Heureusement que je n'ai pas fait Madame est servie toute ma vie... Il y aurait de quoi devenir aigri et frustré. Mais j'ai de la compassion pour le personnage que je joue, je le défends. Ma carrière, je la guide entre le hasard et les choix délibérés. Quand je suis tombé voici trois ans sur Effroyables jardins de Quint, j'ai eu le coup de foudre. Il y a deux mois et demi, je ne savais pas que je répèterai cette pièce de Daniel Besse, Alain Sachs me l'a proposée, je l'ai lue à Noël, nous avons fait la première lecture le 31 décembre après-midi de manière informelle - c'est rigolo, non ? C'est le hasard, il n'y a pas de lois dans ce métier, rien n'est jamais acquis, on ne sait jamais... Je n'ai pas fait de plan de carrière, je ne suis pas un carriériste. Moi, je voulais jouer du bon théâtre, la seule chose dont j'étais sûr, c'est de ne pas faire de Boulevard, sauf Feydeau, mais, lui, c'est le roi du Boulevard. Lorsque je regarde un peu en arrière, je ne suis pas mécontent. Je reconnais deux ou trois grands flops dans mon parcours, mais il y a plus de réussites que de flops, la balance est donc équilibrée.


Bernard Alane
"Si je n'étais pas comédien, je serais devenu fou"

Que pensez-vous de la distribution ?

Alain Sachs dit que cette pièce est un miracle de distribution, car il y a dans chacun de nos personnages quelque chose de ce que nous sommes ! Ce sont des personnages ciblés sur l'âge, "des quinquas". Tracer des correspondances avec ce que nous sommes est donc possible. J'interprète ici un vieux beau, qui essaie de lutter contre l'âge, qui apporte beaucoup de soin à son apparence, et cela correspond à ce que j'ai souvent joué. Autrefois, j'ai beaucoup joué les jeunes premiers... Jean-Paul Farré, lui, joue un "pur et dur", et c'est vrai qu'il a toujours fait une espèce de résistance dans la vie. Quant à Gilles, il joue plutôt les introvertis... En fait, ces personnages sont la caricature de ce que nous serions si nous avions raté nos vies !

Comment se déroulent vos répétitions ?

Alain nous demande des choses très précises, toutes ses propositions sont très pertinentes, très riches. Jouer une nouvelle pièce devant le public c'est comme une rencontre avec quelqu'un que l'on ne connaît pas... Il y a une sorte de danger. On se fout un peu à poil ! Daniel Besse a une langue très particulière. Lorsqu'on lit cette pièce, on se rend compte que c'est très écrit, ça ne se joue pas comme un soap-opéra ! Il y a une vraie langue. Dans ce dialogue, le risque est toujours présent d'interrompre le texte de son partenaire. Il faut par conséquent connaître par cœur les répliques des autres ! Il faut beaucoup s'écouter.

Depuis votre passage à la Comédie-Française, avez-vous posé de réels choix de carrière ?

J'y suis resté un an, j'y ai rencontré beaucoup d'amis - qui le sont restés d'ailleurs -, mais j'étais impatient, j'avais déjà travaillé en quittant le Conservatoire. Au Français, je faisais de nombreuses reprises et je voyais peu de metteurs en scène. Comme il y avait peu de rôles qui me correspondaient et que j'étais très sollicité à l'extérieur, je suis parti, j'avais 23 ans. Je n'ai pas regretté. J'aurais pu rester plus longtemps, bouffer du texte... Quand je lis une pièce, j'essaie de la lire sans lire le rôle : un beau rôle dans une mauvaise pièce, ce n'est pas bon ! Un beau rôle, c'est quelque chose que je n'ai pas déjà fait ! Je n'ai pas de famille théâtrale, je joue dans le privé comme dans le subventionné, j'ai participé à beaucoup de comédies musicales à Londres, à Paris, en Australie, j'ai donc de larges possibilités. J'aime bien cet aller-retour entre théâtre et comédie musicale, mais cela déroute en France. En fait, j'ai très peu de propositions, mais toujours au moins une sympa ! Une par an qui me plaît ! L'âge venant, je me crispe moins là-dessus. Je voyage, je m'occupe des gens que j'aime, je me dis que cela viendra ! Si à 20 ans, je n'étais pas devenu comédien, je crois que je serais devenu fou !


Gilles Gaston-Dreyfus
"Une pièce, c'est d'abord une aventure humaine"

Répéter avec l'auteur de la pièce à proximité, est-ce une chance ?

Je connais Daniel Besse depuis de longues années. Nous avons fait une lecture pour lui et il nous a parlé de sa pièce, des personnages. Il est très présent aux répétitions, mais n'intervient pas sauf quand Alain Sachs lui demande de rectifier des points de détail d'écriture. Notre interlocuteur est le metteur en scène, ce qui n'empêche évidemment pas l'échange auteur-metteur en scène. Aux répétitions, les couches de travail s'additionnent les unes aux autres. En rentrant dans le décor, le jeu a très bien évolué, ce qui prouve que nous ne nous étions pas trompés en amont. On crée un univers, une base, mais on est toujours étonné de l'évolution ultérieure du travail, et, en général, dans le bon sens ! Je suis heureusement surpris du ton de comédie de cette pièce.

Qui sont ces bonniches ?

Ces personnages-là ont une part de nous. On a tous joué en province, on s'est tous retrouvés dans des bars d'hôtel à refaire le monde le soir tard... Dans chaque comédien, il y a une part de cela - je ne veux pas dire "ringarde" -, mais un comédien est tellement tourné sur lui-même, qu'à un moment donné, il en arrive forcément à une paranoïa sur lui, sur sa loge, sur son rôle... Et puis, ces comédiens sont des humains avec leurs angoisses de réussir ; on ne parle plus de comédiens, on parle d'êtres humains.

Cette camaraderie est-elle inséparable du métier de comédien ?

C'est fou, on ne se confie jamais autant qu'à des gens que l'on connaît à peine. C'est étrange, on partage des choses très fortes, puis quand tout est fini, on se quitte, on se jure qu'on se reverra et, sauf rares exceptions, on ne le fait pas. C'est très mystérieux, dans les répétitions, on se livre tellement, on peut être tellement ridicule devant des gens que l'on ne connaît pas, cela demande tellement peu de pudeur, que pour compenser, on se raconte ! Encore faut-il avoir une autre vie ! Mais j'aime beaucoup le manque de pudeur. On ne voit jamais ça ailleurs où tout est policé. Pour moi, une pièce de théâtre, c'est d'abord une aventure humaine. On peut refuser une pièce si cette qualité en est absente. Je retrouve cette aventure humaine dans ce projet des Bonniches. Dans la pièce, nos personnages ne la trouvent pas avec les autres membres de leur troupe, mais ils la vivent à trois. Comme nous, sans oublier Caroline Maillard !
Paru le 25/05/2004
BONNICHES (LES)
THÉÂTRE HÉBERTOT
Du jeudi 15 avril au samedi 5 juin 2004

COMÉDIE. Trois acteurs en tournée sont logés dans un hôtel de zone industrielle et découvrent contre toute attente, que leurs camarades sont tous installés dans un palace du centre-ville, juste en face du théâtre. Passées les premières minutes d'incompréhension et de colère, ces trois infortunés se demande...

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