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D.R.
Interview par Xavier Leherpeur
Jean-Michel Ribes
L’art du sursaut

À 54 ans, Jean-Michel Ribes est sans doute l'un de nos plus grands auteurs vivants. Il est d'ailleurs, avec Jean-Claude Grumberg, l'un des plus joués. Télévision (les immortels, « Palace » et « Merci Bernard »), cinéma (La Galette du roi, Chacun pour soi) ou théâtre (quinze pièces dont La Cuisse du steward, Monsieur Monde et Tout contre un petit bois...) : il n'est pas un genre qu'il n'ait abordé (et sublimé) de son style unique où humour, surréalisme et poésie pure s'entremêlent.
Il revient en ce début de saison au théâtre - dont il dit « que rien n'est aussi fort, aussi libre aussi émouvant que le spectacle qui y est donné » - et retrouve Edy Saïovici, directeur complice du Tristan-Bernard, pour la création de Théâtre sans animaux. Une pièce au titre pour le moins intriguant, qui réunit entre autres Annie Grégorio et Philippe Magnan. Rencontre avec un dramaturge hors du commun pour qui « la parole du théâtre, avec son imaginaire et sa liberté, est une représentation de la vie qui n'est pas formatée ».

S P : Théâtre sans animaux est votre retour en tant qu'auteur.

J-M R : Cette pièce est tout d'abord pour moi l'envie de retourner à mon métier premier, qui est d'écrire du théâtre et retrouver l'émotion que j'aime. À partir de là, je dirais que c'est un éloge à l'art du sursaut. C'est-à-dire que j'aime assez les immeubles qui s'écroulent, les gens qui glissent ou qui s'envolent, bref des sursauts, des choses qui permettent d'oublier que la réalité règne partout. Assez simplement, je me suis retrouvé dans un univers qui est celui de tous ceux qui ont bercé mon enfance, de Jarry à Queneau, de Beckett au dadaïsme ou encore de mon ami Roland Topor.

S P : Quelle pourrait être l'histoire de ce Théâtre sans animaux ?

J-M R : Je dirais que c'est une histoire composée à travers un musée imaginaire. Des gens
le visitent et, à partir de là, naissent toutes sortes de fables qui sont jouées les unes derrière les autres, reliées les unes aux autres par un même ton et s'enchaînant facétieusement. Une espèce de glissade, avec des dérapages, comme le faisait Buñuel dans certains de ses films. Je me suis laissé entraîner par des personnages en les abandonnant dès qu'ils ne me faisaient plus rire ou qu'ils ne me surprenaient plus. Dans la mesure où je trouve que la rupture, que ce soit celle du sens ou d'une situation, est une grande ligne de l'art du sursaut qui est à son tour une des grandes raisons du rire.

S P : Il y a chez vous, et depuis toujours, un véritable amour du comédien.

J-M R : Je crois que la connexion entre l'auteur et l'acteur est immense. L'acteur, c'est le passeur, donc la personne la plus importante. Le premier spectacle que j'ai vu enfant était Cyrano de Bergerac avec Pierre Dux. Je pensais alors que c'était les acteurs qui avaient écrit la pièce. Et je crois que c'est là que c'est réussi : lorsqu'on croit qu'il n'y a personne d'autre que le comédien, que, sur scène, c'est lui totalement, qu'il invente, qu'il est le personnage. C'est quand l'auteur disparaît qu'il est, je crois, le plus grand. Grâce aux acteurs.

S P : Votre travail, qu'il soit de dramaturge ou de metteur en scène, est caractérisé notamment par son extrême rigueur.

J-M R : Je pense que l'à-peu-près, en tout cas pour ce qui est de l'émotion et de la comédie, est souvent quelque chose qui est contre. C'est comme au cinéma : c'est à deux images près que l'on pleure. Donc, s'il n'y a pas, au bout d'un certain moment, une mise en partition des émotions, des rires, des situations burlesques, l'à-peu-près devient un cafouillage pâteux. Je pense que dans tout, même la peinture, il existe quelque chose qui s'appelle le rythme, et qu'il faut essayer de trouver et de respecter. C'est ce qui permet de convaincre.
Paru le 17/09/2001