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Laurencine Lot
D.R.
Portrait par Manuel Piolat Soleymat
Jorge Lavelli
met en scène « L’Ombre de Venceslao », de Copi, au théâtre du Rond-Point des Champs-Élysées.

Figure internationalement reconnue de la scène lyrique et dramatique, Jorge Lavelli fut le premier directeur du théâtre national de la Colline (qu'il quitta en 1997). Né à Buenos Aires en 1932, installé à Paris en 1961, naturalisé français en 1977, son nom est associé à la découverte en France d'auteurs tels que Gombrowicz, Copi, Arrabal, Berkoff... En près de quarante ans de carrière, il a signé plus de cent mises en scène de théâtre et d'opéra à travers le monde.
Tout d'abord lointain, comme absorbé par ses pensées, Jorge Lavelli se fait totalement présent dès la première question posée. Alors réellement disponible, il livre ses expériences le plus simplement du monde, sans jamais verser dans l'autopromotion. En effet, cet homme-là ne fait pas partie des artistes à l'ego surdimensionné. Il ne parade pas, possède la sobriété de ceux qui ont depuis longtemps fait leurs preuves. Sereinement, minutieusement, il développe ses propos sans se soucier du temps qui passe. Car, lorsqu'il s'agit de parler d'art dramatique, il devient intarissable.

Un Argentin à Paris

Jeune membre du théâtre indépendant de Buenos Aires, Jorge Lavelli arrive à Paris en 1961 grâce à une bourse du Fond national des arts d'Argentine. Inscrit à l'Université des Théâtres des Nations, il suit les cours de Charles Dullin et Jacques Lecoq avant de participer, en 1963, au prestigieux concours national des jeunes compagnies. Pour l'occasion, il présente Le Mariage de Gombrowicz, auteur dont aucune œuvre n'a alors jamais été montée en France. « Cette pièce résumait ma manière de voir le théâtre : une sorte de démesure, une organisation musicale du texte, une violence des relations fondée sur une rencontre émotionnelle entre les êtres... Tout cela faisait partie des choses qui me préoccupaient. » Prenant le contre-pied des conventions théâtrales de l'époque, il fait apparaître les personnages avec des corps déformés et des maquillages outranciers. Un nouveau style est né. Remportant le grand prix de mise en scène, Jorge Lavelli voit les portes du théâtre européen s'ouvrir à lui.


Un théâtre envisagé comme force
et non comme forme

Se positionnant hors de tout naturalisme ou psychologisme, Jorge Lavelli construit un théâtre
relevant de mondes intérieurs décalés. Partisan de la plus totale liberté, il bafoue les bonnes manières et le politiquement correct. Car, pour lui, la mise en scène est une forme d'écriture sous-tendue par un point de vue sur le monde. « La provocation intellectuelle, c'est un élément essentiel au théâtre. C'est ce qui permet de créer un malaise et ainsi de faire naître de véritables questions dans l'esprit des spectateurs. L'esthétisme pur n'a pas d'intérêt. Tout doit avoir un sens, ouvrir les perspectives d'interprétation du public. »

En 1966, il crée une nouvelle pièce de Gombrowicz, Yvonne, princesse de Bourgogne, confirmant ainsi son goût pour l'auteur polonais. C'est à cette même époque qu'il fait la connaissance de Copi, dont il montera de nombreuses œuvres (Les Quatre Jumelles, L'Homosexuel, La Nuit de Madame Lucienne, Une visite inopportune...).

La Colline : le tout contemporain
ou une certaine idée du service public

En 1988, Jorge Lavelli inaugure le théâtre national de la Colline, dont on lui a confié la direction, avec une pièce inédite et inconnue de García Lorca : Le Public. Allant à l'encontre des statuts des salles nationales (qui ont pour vocation de représenter à la fois le théâtre classique et le théâtre moderne), il prend le parti de ne programmer que des auteurs contemporains. « Ma préoccupation était d'aller sur les terrains où je savais que les autres n'iraient pas, afin de vivre une aventure de découverte. Il existe un réel danger à toujours se référer aux classiques. C'est une manière de faire du théâtre un musée. Je ne dis pas que l'on ne doit plus monter Shakespeare. Mais je pense que lorsque l'on gère l'argent de l'État, on a un devoir d'audace. Si l'État paie pour que les billets coûtent 120 francs au lieu de 300, il doit y avoir quelque chose de différent et de spécifique. C'est pour cette raison que j'ai voulu que la Colline offre des possibilités nouvelles, fasse découvrir des textes que d'autres ne pourraient pas prendre le risque de monter. »

Ainsi, de Copi à Bernhard, en passant par Berkoff ou Bond, Jorge Lavelli a permis à un large public de découvrir des auteurs qui, sans doute, feront partie des classiques de demain.

« L'Ombre de Venceslao » : une histoire d'errance
et de famille

Après une première version qu'il avait créée au théâtre de la Tempête en 1999, Jorge Lavelli reprend la tragédie baroque de Copi au théâtre du Rond-Point des Champs-Élysées.

Écrite en 1977, cette fresque délirante reprend les thèmes chers à l'auteur argentin : la peur, la solitude, la violence, les amours coupables ou trompées, la vieillesse, la mort... Le personnage principal, Venceslao, laisse son ranch de la pampa argentine et part vers le nord du pays avec sa maîtresse et son cheval. Dans le même temps, ses deux jeunes enfants (demi-frère et demi-sœur), qui filent un amour incestueux, se dirigent vers le Sud, où Buenos Aires leur tend un piège inextricable. La ville ne les éblouira que pour mieux les dévorer. Le chemin tragique de la famille va s'accomplir, impitoyable. Sans prévenir, Venceslao quittera ce monde et reviendra comme une ombre pour transmettre aux siens une preuve de son attachement et de son amour.

Rehaussant ses personnages d'un humanisme tendre et teinté d'ironie, Copi jongle sans cesse entre burlesque et tragédie. « Dans cet ouvrage, souligne Jorge Lavelli, il trace une synthèse heureuse de sa dramaturgie : les éléments drôles ou dérisoires se heurtent toujours à leur essence tragique. De ce curieux dialogue, un message communicatif d'espérance prend forme. »
Paru le 15/10/2001