Connexion : Adhérent - Invité - Partenaire

D.R.
Interview par François Varlin
Le point de vue de Dominique Segall
Quelqu’un qui se tient dans l’ombre

Attaché de presse des grands projets cinématographiques ou de la scène française, Dominique Segall est à la tête d'une équipe d'une dizaine de collaborateurs au sein de son agence Moteur ! De cette place de spectateur et d'acteur privilégié de la vie culturelle, il donne son point de vue sur un métier, une passion et les hommes qui l'exercent.
Depuis quand faites-vous ce métier ?
Cela remonte aux années 1975. C'était "les années Le Luron". J'ai commencé dans le théâtre, la danse et le music-hall. Ce sont des gens comme Jean Poiret ou Michel Serrault qui m'ont amené à passer au cinéma. J'avais une complicité très forte avec eux.

Qu'est devenu ce métier depuis ?

Il a beaucoup changé, surtout avec l'avènement d'Internet qui a bouleversé la communication entre les médias et l'art en général. Les sources d'information classique - presse écrite, la radio ou la télévision - en ont été complètement bousculées. Est-ce que ce mode se substitue aux autres ? Je n'en suis pas persuadé. C'est une question de génération. Ce phénomène, on l'a déjà connu avec l'avènement des radios libres ; c'était un peu une révolution, on voulait mettre Europe 1 et RTL au panier. Qu'en reste-t-il ? Pas grand-chose, les radios anciennes caracolent toujours en tête !

Lorsque l'on parle avec vos collaborateurs, on perçoit qu'un article à paraître sur Internet les intéresse beaucoup moins que sur papier.

Oui, car nos interlocuteurs que sont les producteurs et les distributeurs restent des gens d'une génération pour qui le papier est palpable, tandis que le Net reste encore une chose très évanescente, moins quantifiable que la couverture d'un grand magazine.

Pourquoi travailler en équipe alors que ce métier semble souvent exercé par des indépendants ?

Je n'ai rien inventé ; les médecins, les avocats ou d'autres professions libérales ont l'habitude de travailler en association ou en cabinets de groupes. M'ont rejoint depuis quelque temps des gens qui ont exercé chez moi, il y a longtemps, sous ma férule. Ils retrouvent un certain confort dans une structure où nous travaillons tous ensemble.

Comment s'opère le choix des projets que vous défendez ?

Il n'y a pas de règle inscrite dans le marbre. Dans le théâtre comme dans le cinéma il y a des rapports professionnels qui se transforment en rapports amicaux. On a pris l'habitude de toujours travailler ensemble. Les talents pour lesquels nous œuvrons ne sont pas fanatiques de l'exposition médiatique, donc ils trouvent à travers nous, dans notre complicité un moyen de se protéger un peu plus. Il est plus facile de se protéger avec des gens que vous connaissez. Au fil des années, un rapport s'installe, d'un producteur à un distributeur, d'un talent à un autre. Le cinéma occupe 60 à 65 % de mon activité, le reste étant pris par les spectacles, les événements ponctuels, les one-man-show. Les Laurent Gerra, Patrick Timsit, Dany Boon, Michel Boujenah, je les suis quand ils sont sur scène ou quand ils font du cinéma.

Doublez-vous les rapports professionnels d'un rapport amical pour mieux accompagner vos clients ?

Il y a une complicité plus forte avec les gens de théâtre qu'avec les gens de cinéma. Les rapports humains sont beaucoup plus en alerte autour d'un spectacle vivant que d'un film, où notre intervention est plus tardive puisque nous nous retrouvons pour la promotion alors que le tournage est terminé. Au spectacle, on est confronté aux répétitions, aux premiers jours de représentations, aux angoisses, au trac et cela crée des liens.

Comment évolue le théâtre ?

Il y a toujours eu des catégories de spectacles différentes. Maintenant, ils durent moins longtemps, on fidélise moins les spectateurs que dans le passé, peut-être aussi parce qu'il y a plus de spectacles. Le one-man-show et le stand up ont pris des proportions considérables. Ces artistes, qui sont devenus pour la plupart des vedettes de cinéma, ont grignoté, modifié le théâtre classique. C'est une évolution, dans le théâtre privé ces spectacles d'un genre particulier ont pris le pas sur les autres. La proposition étant très grande, on se lasse plus rapidement des choses, le développement de l'information suscite chez les gens des intérêts plus dispersés.

Vous semblez cultiver un personnage inaccessible...

J'ai toujours été quelqu'un qui se tenait dans l'ombre, je ne me suis jamais mis beaucoup en avant. J'ai fait beaucoup le contrôle dans la "boîte à sel" des théâtres, j'ai beaucoup donné, mais j'ai des collaborateurs qui le font aussi bien que moi, et cela me permet de faire du relationnel. Je suis arrivé avec trente-cinq ans de métier à une certaine maturité, je prends du recul !

Quel est votre souvenir le plus fort ?

Il y a eu des moments de music-hall très important comme Starmania qui a marqué son époque, les années Palace, ces treize années au côté de Thierry Le Luron, des moments privilégiés au théâtre avec des pièces comme La Cage aux folles, la rencontre il y a quinze ans avec Dany Boon. Je suis très privilégié, je travaille avec des gens que j'aime bien.

Peut-on se permettre de refuser un projet ?

Je vous aurais répondu oui à 100 % il y a deux ans, mais nous sommes dans une période de crise particulière et il n'y a pas pléthore de projets intéressants. Mais je suis encore en position de choisir et d'éviter les choses qui ne m'intéressent pas.

Quel est votre souvenir le plus cuisant...

Un échec est toujours cuisant au cinéma comme au théâtre. J'ai fait des spectacles qui ont joué les trente représentations syndicales et se sont effondrés, mais on se souvient moins de cela que des succès ! Mieux vaut se souvenir des bons moments dans ce métier.
Paru le 26/10/2009