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D.R.
Portrait par Alain Bugnard
Volodia Serre
“Erdman espérait que les censeurs y verraient une critique de la religion mais il fut banni de Moscou”

Le jeune et pertinent metteur en scène, directeur de la compagnie La Jolie Pourpoise, nous offre sa vision du "Suicidé", seconde pièce de Nikolaï Erdman, auteur du "Mandat".
Comédie d'essence shakespearienne, traversée par l'énergie du désespoir, Le Suicidé fait figure d'œuvre de résistance dont le message politique transcende les époques. "Bien que cette pièce soit datée, puisque l'action se déroule à Moscou dans un appartement communautaire au début de l'ère stalinienne, elle demeure très actuelle. Construite sur les règles du vaudeville, elle démarre sur un quiproquo qui met en branle une mécanique implacable dont les multiples rouages vont broyer les protagonistes et les faire entrer dans une logique de cauchemar." Quiproquo ne pouvant avoir lieu que si le personnage principal est au chômage, situation sociale considérée comme désespérée : "En dehors du travail, point de salut ni de reconnaissance ! Les autres protagonistes sont donc - à tort - persuadés qu'il va attenter à sa vie et estiment que c'est une très bonne idée, à condition qu'il le fasse au nom d'une cause ! Et cet homme, sans avenir à qui l'on promet soudainement monts et merveilles, va trouver un sens à son existence à travers cette perspective de suicide ; problématique qui reste très actuelle. Sans aller chercher le terrorisme islamiste, il est des êtres de par le monde qui ont l'impression de n'avoir rien à espérer en cette vie et pour lesquels il ne reste qu'à organiser leur disparition. La parole d'Erdman est contestatrice : tandis que le régime prône la négation de l'individu, il revendique le droit d'exister avec son individualité sans être fondu dans la masse." Pour rendre compte de l'effervescence qui caractérise les écrits de l'auteur russe, les comédiens évolueront dans un espace rétréci : "Toute la pièce se déroule dans la chambre de Sémione : le lieu ultime de l'intimité est aussi violé par le régime. Je n'ai pas cherché à reconstituer une époque : les décors et les costumes se contentent d'évoquer le dépouillement total." Erdman a même l'audace d'offrir au personnage de Sémione la figure christique de l'ultime sacrifice : "La scène du banquet est une évocation de la Cène. Cette parabole est totalement voulue et tissée jusqu'à la fin de la pièce avec crucifixion et mise au tombeau. Erdman espérait que les censeurs y verraient une critique de la religion mais il fut banni de Moscou. Comme le faisait remarquer Soljenitsyne, bien que le régime soviétique, le plus abominable qui fût, ait tué 80 millions de personnes, les problématiques intellectuelles du monde occidental n'en sont pas si éloignées : l'URSS obligeait tout le monde à faire la même chose ; à l'Ouest la manipulation médiatique incite tout le monde à faire la même chose dans son coin ; le couvert hypocrite de l'affirmation des différences dissimule à peine une volonté de nivellement. Certaines émissions de télé-réalité en sont le meilleur exemple : les téléspectateurs choisissent la personne la plus banale et consensuelle. Il est difficile de nier une similitude entre collectivisation forcée et mimétisme consumériste mais nous avons la chance d'avoir la liberté : espérons sans naïveté et résistons pour la conserver car il n'est pas du tout certain que la démocratie s'impose comme modèle politique et social mondial."
Paru le 24/11/2008

(13 notes)
SUICIDÉ (LE)
THÉÂTRE 13 - GLACIÈRE
Du jeudi 6 novembre au dimanche 14 décembre 2008

COMÉDIE. Un appartement communautaire à Moscou en 1930, un saucisson pris pour un revolver et la mécanique de la comédie est en route: tous sont convaincus que le chômeur Sémione Sémionovitch va mettre fin à ses jours. La lutte s’engage pour l’instrumentalisation du suicidé... Mais Sémione aura-t-il le cou...

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