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© Philippe Delacroix
Dossier par Manuel Piolat Soleymat
Au Théâtre du Rond-Point :
Le Rire de résistance

Estampillée du thème fédérateur "Le Rire de résistance",
la programmation 2007-2008 du théâtre du Rond-Point a été conçue pour donner la parole à "tous ceux, fils et filles de Rabelais, Molière, Jarry, Dario Fo, Coluche, Picabia et autres dadaïstes, qui par le rire, la raillerie et l'insolence ont su résister à toutes les dictatures de la réalité et à l'hégémonie du sérieux". Parmi les artistes frondeurs de ce début de saison : Jackie Berroyer, Philippe Caubère, Ève Bonfanti et Yves Hunstad.


Ève Bonfanti et Yves Hunstad :
deux arpenteurs d'imaginaire


Ensemble, ils inventent, conçoivent et réalisent un théâtre "consacré à la connaissance de la vie, à la poésie de l'univers (...), à la beauté de l'incertitude qui [les] composent". Après "Au bord de l'eau", Ève Bonfanti et Yves Hunstad reviennent au Rond-Point avec "Du vent... des fantômes", un spectacle sur l'infime différence entre le réel et le fictif, la personne et le personnage...

Vous caractérisez Du vent... des fantômes comme "quelque chose de l'ordre d'une virtuosité du rien". Concrètement, par quoi passe cette forme de virtuosité ?
Dans ce spectacle, il n'y a rien à quoi s'accrocher : pas d'intrigue, pas d'action, pas de personnage, pas de public, pas de régisseur... Une scène vide... Dans un théâtre vide... Rien n'est prêt, rien n'est prévu, sauf d'être là, à ce moment-là... Alors, naît une pièce qui se construit, d'instant en instant, de tous ces riens, une pièce qui se bâtit sur le simplement mouvement de la relation acteurs-public.

Quelle est la source d'inspiration de cette mise en abyme sur le théâtre et la relation comédien-spectateur ?
Le théâtre est notre seule source d'inspiration. On le crée, on le récrée, on le regarde, on le rêve, on l'interroge, on l'imagine, on l'observe, on le déshabille, on le cherche, on le perd, on tourne autour, on le laisse parler. C'est nous qui parlons, mais c'est lui qui nous dirige.

Quelle est la part d'improvisation, d'aléatoire, dans votre spectacle ?
Aucune. Tout est illusion : tout paraît improvisé alors que tout est préparé. Il semble que rien ne soit prêt alors que tout ce rien est minutieusement architecturé.

Qui sont ces fantômes, quel est ce vent... ?
Les fantômes sont ceux des gens qui étaient là avant, assis dans la salle, errant dans les coulisses, aussi de nous-mêmes, qui sommes présents, mais aussi déjà de futurs fantômes. Quant au vent, il s'agit de nos paroles, de nos actes qui disparaissent aussitôt apparus et s'envolent dans les cintres du théâtre, s'évanouissent dans les ombres mystérieuses, au-delà des projecteurs.

Du vent... des fantômes est-il plutôt un spectacle politique, esthétique, philosophique... ?
Peut-être tout cela à la fois : poétique, comique, renversant, surprenant, décontenançant, aimant... Car il s'agit d'un spectacle qui retourne toutes les conventions, qui jongle avec toutes les idées reçues et s'en va, sifflotant, l'air de rien, hors des sentiers battus...


Philippe Caubère
crée "L'Épilogue à L'Homme qui danse"


Près de vingt-cinq ans après l'avoir improvisé devant Clémence Massart et Jean-Pierre Tailhade, Philippe Caubère crée un nouvel épisode de la vie de son double scénique : Ferdinand. Un épisode soumis à une forme de comique, "plus angoissé, plus kafkaïen".

"L'Épilogue à L'Homme qui danse met en scène le vide terrifiant d'un plateau de théâtre lorsqu'il est dépeuplé. Ferdinand se retrouve seul, face à lui-même : il ne peut plus se réfugier derrière d'autres figures, il est face à ses propres démons. C'est à la fois mon histoire et celle d'un acteur au chômage qui n'a ni texte, ni sujet, ni mise en scène, mai qui ressent le besoin impérieux d'exprimer - à travers ses doutes, ses hésitations, ses envies... - ce qu'est pour lui la condition de comédien. Cette situation a donné naissance à une improvisation qui est devenue comme le germe de tout ce qui a suivi, de tout le travail que j'ai réalisé durant ces vingt-cinq dernières années. L'Épilogue commence avec un simple bout de ficelle, qui devient un accessoire pour jouer le monde, qui se transforme en jeune fille, puis en corde pour se pendre... Finalement, ce spectacle est un cri transposé sur le mode burlesque. Ni un cri contre, ni un cri pour, juste un cri. Exactement comme le tableau de Munch : un cri d'horreur, d'épouvante. Le cri de peur du comédien avant d'entrer sur scène. Le cri d'un jeune acteur qui a vécu 1968, qui a fait parti de la troupe d'Ariane Mnouchkine, et qui se demande ce qu'il va faire au sortir de tout ça. Car il n'a pas encore trouvé le chemin qui le mènera à son œuvre. Cette peur touche au mystère de la création, à cette chose folle qui fait qu'un artiste, ne sachant pas encore où aller, ne peut pourtant faire autrement que de se mettre en chemin."



Jackie Berroyer
entre autofiction et autodérision dans "Ma vie de jolie fille".


Accompagné par le guitariste Brice Delage, Jackie Berroyer chante, raconte, raille, déforme la vie sentimentale d'un homme mûr et célèbre s'interrogeant sur les raisons de son succès auprès des jolies filles...

"L'idée de ce spectacle, explique Jackie Berroyer, c'est que la célébrité fait vivre - quand bien même vous êtes un sexagénaire bedonnant - la vie d'une jolie fille à qui tout le monde s'intéresse. Car du moment où vous apparaissez régulièrement sur un écran de cinéma ou à travers un poste de télévision, les gens ne cessent de vous regarder, de venir vous dire bonjour : dans la rue, au restaurant, chez votre boulangère, partout... C'est à la fois le point de départ et le fil conducteur de la
représentation, le personnage que j'interprète se demandant tout au long de son histoire s'il aurait réussi à séduire la jeune fille avec laquelle il vit sans ce statut de célébrité, si la différence d'âge n'aurait pas fini par peser un peu plus vite, car elle finit par peser..." Dans Ma vie de jolie fille, Jackie Berroyer s'adonne ainsi à l'art de l'autofiction comme à celui de l'autodérision, mélangeant imaginaire et souvenirs personnels pour forger un espace de parole se voulant drôle, insolent, excessif, absurde, délirant, sarcastique...

La résistance à l'esprit de sérieux qui plombe notre époque

Car l'ancien standardiste loufoque de l'émission de Canal+ Nulle part ailleurs veut participer pleinement à ce "rire de résistance" sous le patronage duquel Jean-Michel Ribes a placé la nouvelle saison du Théâtre du Rond-Point. "La résistance à l'esprit de sérieux et de pesanteur qui plombe notre époque est, pour moi, fondamentale, déclare Jackie Berroyer. Il faut savoir mettre la vie et le réel à distance pour les réinventer avec humour, culot et liberté. D'ailleurs, à travers le personnage de Ma vie de jolie fille, je me moque beaucoup de moi-même.

Il y a notamment une chanson qui raconte comment je me verrais bien devenir une sorte d'Eddie Barclay du pauvre ! C'est le portrait d'un vieillard décati qu'une jeune fille s'habitue à aimer tout en attendant son héritage..." Pariant sur la finesse d'esprit et l'humour du public, l'auteur et comédien a donc souhaité concevoir un spectacle s'autorisant à stigmatiser le ridicule, un spectacle se laissant aller à de joyeuses formes
d'exubérance.
Paru le 10/10/2007