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D.R.
Interview par Caroline Fabre
Habib Naghmouchin
Un homme libre et son théâtre La Boutonnière

Né à Tunis, en 1962, d'un père kurde et d'une mère syrienne, Habib Naghmouchin a exercé son métier de metteur en scène à travers le monde. Il a choisi la France pour créer son théâtre, La Boutonnière. Il y monte aujourd'hui "Timon d'Athènes", une des dernières pièces de Shakespeare, avec Denis Lavant dans le rôle-titre.
Parlez-nous de vous...
Mon père étant diplomate, nous changions de pays tous les trois ans. Cela m'a vraiment ouvert les yeux et l'esprit. Depuis, je voyage pour aller à la source des choses. Attaché à la fois à l'Orient et à l'Occident, je reste critique vis-à-vis de l'un et de l'autre. Dans ma vie professionnelle, le confort, pernicieux, et la certitude me font peur, j'avance grâce au doute, au questionnement et à la création

Racontez-nous la genèse de La Boutonnière...
Après avoir dirigé une compagnie qui n'avait pas de lieu
attitré, je savais qu'il me fallait ouvrir un théâtre. Je me suis appuyé sur une expérience découverte à Londres pour mettre sur pied un pôle de mécènes, chefs d'entreprise aimant le théâtre. Grâce à cela, nous avons transformé une ancienne usine de boutons en nacre en un lieu vivant et accueillant, dans lequel nous avons reçu Peter Brook et Brigitte Jacques en résidence et où nous créons nos spectacles. S'installer au cœur d'un quartier de textile était important : pour qu'une cité vive, il faut pouvoir y habiter, travailler, manger, se cultiver. Nous y défendons la qualité et le public adhère : la salle, une cinquantaine de places, est toujours pleine.

Pourquoi cette pièce, assez peu connue, vous parle-t-elle ?
Son héros est un homme, puissant et reconnu, qui croyait pouvoir acheter le bonheur, le sien et celui des autres et se retrouve ruiné. Elle parle donc à la fois d'argent et de misère, paradoxe qui nous défie encore aujourd'hui car on n'a sans doute jamais autant parlé de richesse alors que les problèmes de surendettement gangrènent tous les pays du monde. Sur ce sujet comme sur tant d'autres, Shakespeare fait intervenir des personnages aux points de vue divergents, voire opposés. Il ne cherche pas à nous donner le sien. C'est au spectateur de faire la part des choses.

Comment avez-vous travaillé ?
Considérant que le texte contient tous les éléments nécessaires à sa compréhension, je me refuse à le polluer en imposant mon point de vue. Il s'agit là pour moi d'une humilité indispensable. D'ailleurs, ce travail est celui d'une équipe tout entière. Avec le scénographe, nous avons œuvré pour que le spectateur ne se croie pas au théâtre, il devient convive d'un banquet. Il n'y aura pas de décor, pour laisser libre cours à l'imagination. Côté costumes, nous avons opté pour qu'ils se confondent avec ceux du public, seul celui de Timon est très chic, très soigné. Avec les acteurs, nous avons travaillé sur la nudité du mot car, dans Shakespeare, tout est écrit, encore faut-il l'entendre pour le comprendre.
Paru le 05/01/2007