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Marcel Bluwal
D.R.
Interview par Manuel Piolat Soleymat
Marcel Bluwal
Réalisateur de télévision et de cinéma, metteur en scène de théâtre et d’opéra,

c'est à lui que l'on doit la célèbre série des « Vidocq ».
Artiste au tempérament bien trempé, le compagnon de vie de Danièle Lebrun déploie, depuis plus de cinquante ans, une énergie surprenante à défendre sa liberté de penser.

Né à Paris en 1925 de parents juifs polonais, Marcel Bluwal débute sa vie par un véritable tour de force. À 17 ans, en plein Paris occupé, il se cloître durant vingt-six mois pour échapper à la déportation. Il sort de cette épreuve bardé d'une joie de vivre et d'une combativité inébranlables. « Quand on a failli mourir au moins vingt fois en deux ans, on se dit que tout ce qui reste est du "rab". Le jour où j'ai retrouvé ma liberté, je me suis juré que je ne me laisserai jamais plus marcher sur les pieds. Dès le lendemain, je suis allé m'inscrire à l'École technique de la photo et du cinéma de Vaugirard. En pleine bataille de Paris, il y avait quelqu'un pour prendre les inscriptions ! »

Un homme
qui ne mâche pas ses mots

Ses études achevées, Marcel Bluwal entre à l'ORTF en 1949. Très vite, il s'impose comme l'un des réalisateurs les plus prolifiques de la télévision, œuvrant dans des domaines aussi divers que la musique classique, la variété ou les œuvres de fiction. C'est à lui que l'on doit les premières dramatiques en direct (Le Barbier de Séville, Le Revizor...), ainsi que de nombreux documentaires de création, qui lui permettent d'exprimer haut et fort ses convictions de gauche (on se souvient d'État d'urgence, une série sur la condition paysanne).

Aujourd'hui, Marcel Bluwal a décidé de claquer la porte du petit écran : « À l'époque de l'ORTF, nous avions beaucoup de liberté. Les pouvoirs publics possédaient un réel désir d'éducation populaire. De nos jours, à la télévision, c'est l'argent qui parle, c'est lui qui installe le discours à cause des délais de travail et de la connerie des diffuseurs, disons la vérité comme elle est. »

Le cinéma de papa
contre celui des fils à papa

Lorsque Marcel Bluwal réalise ses deux premiers films (Le Monte-Charge en 1962 ; Carambolages, sélectionné au Festival de Cannes en 1963), il est en total décalage par rapport à la Nouvelle Vague. Il prône un cinéma à base de grande culture populaire et refuse d'adhérer à ce courant. « Vous voulez tuer le cinéma de papa, déclare-t-il à ces jeunes cinéastes, mais vous allez faire le cinéma des fils à papa ! »
Il ne reprendra la caméra qu'en 1999 pour réaliser Le Plus Beau Pays du monde, film retraçant l'histoire véritable du comédien Robert-Hugues Lambert qui fut arrêté pour homosexualité pendant l'occupation allemande et mourut en déportation. Une nouvelle occasion pour lui de dénoncer la barbarie dont il faillit être victime.

Un petit coin de paradis

Une autre corde à son arc : sa passion pour l'art lyrique et son admiration inconditionnelle pour Mozart. En collaboration avec l'Opéra de la Ruhr en Allemagne, Marcel Bluwal a notamment mis en scène Don Giovanni, Così fan tutte et La Flûte enchantée. « Mozart, c'est le comble de la simplicité dans le comble de la pathologie et de la complexité. Pour moi, mettre en scène l'un de ses opéras, c'est "approximer" le paradis, se dire qu'on est minuscule devant lui, car il dit tout. Il n'y a pas une note de trop. C'est réellement prodigieux. »

Une certaine idée
de la démocratie...

À la fin des années 60, Marcel Bluwal se lance dans la mise en scène de théâtre. Se tournant avant tout vers les grands auteurs classiques (Molière, Marivaux...), il fonde ses succès sur la mise en valeur du texte et la justesse de la direction d'acteur. « Contrairement au cinéma et à la télévision où le réalisateur est un dictateur — car il impose au public ce qu'il doit regarder par le biais du cadrage —, au théâtre, il s'agit d'un démocrate. Le metteur en scène donne corps à ses idées mais, quoi qu'il souhaite établir, lors de la représentation les spectateurs en perçoivent ce qu'ils veulent. Le plus important reste toujours la pièce, ce qu'elle dit et ce qu'elle révèle en dehors des apparences. Cependant, pour moi, une des missions du metteur en scène est tout de même d'offrir une version critique des messages délivrés par le texte. »

Avec À torts et à raisons, Marcel Bluwal a prouvé qu'il savait s'intéresser aux œuvres contemporaines. Il le confirme aujourd'hui en présentant Le Grand Retour de Boris S. (de Serge Kribus, avec Michel Aumont et Robin Renucci), pièce analysant les rapports conflictuels et passionnels d'un père et d'un fils juifs que tout sépare et que tout rapproche.

Paru le 01/09/2000