Portrait par Didier Roth-Bettoni
Judith Magre
“Histoires d’hommes” de Xavier Durringer
Silhouette aiguë et familière des plateaux de théâtre, comédienne inestimable et personnalité singulière, Judith Magre joue du sur-mesure à la Pépinière avec les "Histoires d'hommes" écrites pour elle par Xavier Durringer.
"Il y a quelque chose d'indécent, d'impudique dans le fait d'arriver en scène. C'est le dernier métier pour lequel j'étais faite." Prononcée par l'inimitable voix de violoncelle de Judith Magre, la phrase pourrait prêter à sourire. Mais non. Derrière le plaisir du paradoxe, la sincérité est évidente. Et la contradiction avec une actrice jamais très longtemps absente des plateaux, juste une apparence. "Je donne le change : je suis introvertie, mal dans ma peau. Et pourtant, mon masochisme aidant, quand je le fais, j'adore ce métier. Quand je suis sur un plateau, je suis contente." Car au fil des rencontres et des spectacles, ce qui semblait si éloigné d'elle est à l'évidence devenu une seconde nature. Au point de lui faire glisser en manière de fausse confidence : "Je n'existe que si l'on me regarde. Si je ne suis pas en représentation, je m'effondre. J'ai besoin pour ma santé d'être en scène."
"La femme boa,
qui boa, qui boa..."
Cheveux de jais et regard clair, toute de beige vêtue dans son bel appartement clair où trône le piano qui fut celui "de Réjane et de mon amie Nane Germon", à quelques pas de Saint-Germain-des-Prés, Judith Magre se prépare donc à remonter sur les planches pour les Histoires d'hommes de Xavier Durringer. Un texte écrit pour elle après un dîner où ces deux qui ne se connaissaient pas se sont plu. "Au cours d'un dîner peut se créer une forme d'intimité très forte, on peut se découvrir énormément. Là, autour d'une bonne bouteille, on se sentait bien, on se sentait libres." Présentées une première fois en Avignon en 2002, dans le cadre de ces Textes nus où l'actrice aime venir faire des lectures, Histoires d'hommes est en fait le récit d'une femme racontant ses histoires avec les hommes. Seule en scène, avec juste un contrebassiste à ses côtés, Judith Magre va donc dévoiler ce portrait en pointillé, "toujours sur un mode humoristique, même quand c'est un peu sinistre. Bien sûr, c'est écrit pour moi, mais ça pourrait être écrit pour n'importe quelle femme. Il n'y a pas vraiment de moi dans ce personnage, juste un clin d'œil de Xavier qui - sachant que j'adorais mon chat - a créé un personnage qui les déteste... Ce qui touche une femme peut toucher toutes les femmes." Durringer, malicieux, en hommage peut-être au disque délicieux que lui fit enregistrer Jacques Canetti dans les années 70, a aussi inventé pour le spectacle deux chansons, dont une qu'elle fredonne : La Femme boa, sur une femme "qui boa, qui boa"...
"Je ne connais pas
la honte"
Singulière, élégante, drôle, cinglante, légère comme une bulle de ce champagne dont elle raffole, et grave l'espace d'un instant, Judith Magre a les souvenirs d'une belle et longue carrière, où Jean-Louis Barrault et Jean Vilar côtoient Jorge Lavelli, Claude Régy, Jean Vauthier, Philippe Minyana, Jean-Marie Besset et tant d'autres, parfois moins prestigieux. "Beaucoup de comédiens ont un certain sens de l'honneur, de la respectabilité, moi je m'en fous. Je n'ai pas le sens de la carrière, de l'honorabilité, c'est futile tout cela. J'ai joué des merdes, des pas-merdes, je le sais, je ne juge pas, je ne connais pas la honte. En tout cas, j'ai toujours joué au théâtre des choses qui me plaisaient, que ce soit Greek à la Colline, un de mes plus grands souvenirs, ou Barillet et Grédy. J'y ai pris beaucoup de plaisir, j'ai beaucoup d'admiration pour leur travail, leur culture."
"Je n'ai pas
de regrets"
Elle est comme cela, Judith Magre, d'une franchise absolue, sans détour, sur son métier, son parcours, sa vie. Sans amertume quant à une carrière au cinéma qui n'a pas vraiment eu lieu : "Je n'ai pas de regrets :
ce qui n'a pas été ne devait pas être." Sans aucune envie de laisser une trace en écrivant ses mémoires : "Sûrement pas. La postérité, je m'en fous. Les vraies choses importantes, celles qui ont compté, ce sont des choses que je ne peux pas dire. À personne. Le reste..." D'une dureté avec elle-même qu'elle nomme "lucidité" : "Je me suis toujours trouvée moche, je ne m'aime pas, mais j'ai un ego surdimensionné." D'une liberté de parole déroutante : "Je me souviens très bien qu'à l'âge de 4 ans, j'ai eu une angoisse devant la fuite du temps. Je me suis mise à sangloter. Je ne veux plus y penser, je n'y pense plus. J'ai décidé à 15 ans de ne plus penser à mon âge. Ce n'est pas que je ne veux pas savoir, c'est que je ne sais pas. Ce n'est pas une coquetterie : si les mots ne se disent pas, cela n'existe pas. Si on me demande mon âge, je montre ma carte d'identité, ça ne me gêne pas du tout, mais je ne le dis pas, je ne le sais pas. Tant que mes jambes, mes bras, ma tête ne me feront pas défaut, je vivrai d'une façon normale." Et elle jouera, infatigable, elle qui se prétend "paresseuse à un point inimaginable". Prête à affronter une nouvelle fois le trac : "J'ai toujoursl'impression d'être un bébé qui n'a jamais joué, j'ai la trouille."
"La femme boa,
qui boa, qui boa..."
Cheveux de jais et regard clair, toute de beige vêtue dans son bel appartement clair où trône le piano qui fut celui "de Réjane et de mon amie Nane Germon", à quelques pas de Saint-Germain-des-Prés, Judith Magre se prépare donc à remonter sur les planches pour les Histoires d'hommes de Xavier Durringer. Un texte écrit pour elle après un dîner où ces deux qui ne se connaissaient pas se sont plu. "Au cours d'un dîner peut se créer une forme d'intimité très forte, on peut se découvrir énormément. Là, autour d'une bonne bouteille, on se sentait bien, on se sentait libres." Présentées une première fois en Avignon en 2002, dans le cadre de ces Textes nus où l'actrice aime venir faire des lectures, Histoires d'hommes est en fait le récit d'une femme racontant ses histoires avec les hommes. Seule en scène, avec juste un contrebassiste à ses côtés, Judith Magre va donc dévoiler ce portrait en pointillé, "toujours sur un mode humoristique, même quand c'est un peu sinistre. Bien sûr, c'est écrit pour moi, mais ça pourrait être écrit pour n'importe quelle femme. Il n'y a pas vraiment de moi dans ce personnage, juste un clin d'œil de Xavier qui - sachant que j'adorais mon chat - a créé un personnage qui les déteste... Ce qui touche une femme peut toucher toutes les femmes." Durringer, malicieux, en hommage peut-être au disque délicieux que lui fit enregistrer Jacques Canetti dans les années 70, a aussi inventé pour le spectacle deux chansons, dont une qu'elle fredonne : La Femme boa, sur une femme "qui boa, qui boa"...
"Je ne connais pas
la honte"
Singulière, élégante, drôle, cinglante, légère comme une bulle de ce champagne dont elle raffole, et grave l'espace d'un instant, Judith Magre a les souvenirs d'une belle et longue carrière, où Jean-Louis Barrault et Jean Vilar côtoient Jorge Lavelli, Claude Régy, Jean Vauthier, Philippe Minyana, Jean-Marie Besset et tant d'autres, parfois moins prestigieux. "Beaucoup de comédiens ont un certain sens de l'honneur, de la respectabilité, moi je m'en fous. Je n'ai pas le sens de la carrière, de l'honorabilité, c'est futile tout cela. J'ai joué des merdes, des pas-merdes, je le sais, je ne juge pas, je ne connais pas la honte. En tout cas, j'ai toujours joué au théâtre des choses qui me plaisaient, que ce soit Greek à la Colline, un de mes plus grands souvenirs, ou Barillet et Grédy. J'y ai pris beaucoup de plaisir, j'ai beaucoup d'admiration pour leur travail, leur culture."
"Je n'ai pas
de regrets"
Elle est comme cela, Judith Magre, d'une franchise absolue, sans détour, sur son métier, son parcours, sa vie. Sans amertume quant à une carrière au cinéma qui n'a pas vraiment eu lieu : "Je n'ai pas de regrets :
ce qui n'a pas été ne devait pas être." Sans aucune envie de laisser une trace en écrivant ses mémoires : "Sûrement pas. La postérité, je m'en fous. Les vraies choses importantes, celles qui ont compté, ce sont des choses que je ne peux pas dire. À personne. Le reste..." D'une dureté avec elle-même qu'elle nomme "lucidité" : "Je me suis toujours trouvée moche, je ne m'aime pas, mais j'ai un ego surdimensionné." D'une liberté de parole déroutante : "Je me souviens très bien qu'à l'âge de 4 ans, j'ai eu une angoisse devant la fuite du temps. Je me suis mise à sangloter. Je ne veux plus y penser, je n'y pense plus. J'ai décidé à 15 ans de ne plus penser à mon âge. Ce n'est pas que je ne veux pas savoir, c'est que je ne sais pas. Ce n'est pas une coquetterie : si les mots ne se disent pas, cela n'existe pas. Si on me demande mon âge, je montre ma carte d'identité, ça ne me gêne pas du tout, mais je ne le dis pas, je ne le sais pas. Tant que mes jambes, mes bras, ma tête ne me feront pas défaut, je vivrai d'une façon normale." Et elle jouera, infatigable, elle qui se prétend "paresseuse à un point inimaginable". Prête à affronter une nouvelle fois le trac : "J'ai toujoursl'impression d'être un bébé qui n'a jamais joué, j'ai la trouille."
Paru le 25/01/2006